La vie quotidienne à Harvard sous Trump
L’école qui forme les leaders politiques a-t-elle tiré les leçons de la dernière élection présidentielle américaine ? Réponse en neuf constats.
Harvard porte haut la vérité. « Veritas », la devise de l’université, surplombe les portails en fer forgé qui donnent accès au temple américain du savoir. Sur le campus, le mot latin est omniprésent, gravé dans la pierre, moulé dans le plâtre ou coulé dans le bronze. Les Américains, pourtant, divorcent de la vérité. Sur le progrès scientifique, le réchauffement climatique, l’immigration, les enquêtes montrent qu’ils sont des dizaines de millions à entretenir des convictions qui contredisent les faits établis. Leur président, Donald Trump, dénonce les « fausses nouvelles » répandues par les médias. Mais lui-même, selon un décompte du Washington Post, a proféré plus de 10 000 contre-vérités en trois ans de pouvoir. Son style de gouvernement, sa propension à polariser la société à l’extrême témoignent d’une crise inédite de la démocratie américaine. A l’approche de l’élection présidentielle de 2020, Le Point a voulu connaître la vérité sur les causes du malaise. La Harvard Kennedy School (HKS, anciennement John F. Kennedy School), l’école qui forme les leaders politiques aux Etats-Unis un peu comme l’Ena chez nous, a des réponses qui interpellent.
En un sens, la Harvard Kennedy School incarne ce que l’Amérique a rejeté en votant Trump. Elle est une pièce du « système ». Bastion de l’élite de la côte Est, temple du politiquement correct, vouée au service public et à la haute administration, penchant nettement à gauche, c’est un « paradis cosmopolite bien protégé », reconnaît Jane Mansbridge, l’une des figures de l’école où, à près de 80 ans, elle continue à enseigner les sciences politiques. Les élèves sont là d’abord grâce à leur travail et à leur talent mais aussi, souvent, à leur héritage intellectuel, à l’argent de leur famille et à l’influence de leurs parents. Le mérite est devenu un privilège qui se transmet de génération en génération, un biais favorisé par la sélection puisque, par exemple, les rejetons des grands donateurs, ceux des enseignants et même ceux des anciens élèves sont admis de façon prioritaire.
Chaque promotion compte environ 600 étudiants de deuxième (master) ou troisième cycle (doctorat). Près de la moitié sont des étrangers venant d’une centaine de pays. Pour étudier à la HKS, il faut débourser 50 000 dollars par an au minimum, et jusqu’à 100 000 dollars si l’on prend en compte le coût du logement et les frais divers.
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professionnels. « A la fin, les républicains pensaient plus comme des démocrates sur certaines questions comme l’immigration, tandis que les démocrates s’étaient rapprochés des vues républicaines sur d’autres points, par exemple le coût des politiques », résume-t-elle. Et six personnes sur dix étaient d’avis que la démocratie américaine fonctionnait bien, deux fois plus qu’au début du week-end !
enrayer la polarisation est possible. Pour cela, il faut garantir la pluralité des opinions et accepter de débattre avec ceux qui pensent autrement, dans un cadre approprié.
Constat 3 : le fardeau des inégalités
Parmi les professeurs rencontrés à la HKS, nul ne doute que l’explosion des inégalités économiques est l’une des causes majeures de la crise. « Ici comme dans d’autres pays, les fruits de la croissance économique ont, proportionnellement, plus bénéficié aux gens en haut de l’échelle ces dernières décennies », souligne le doyen de l’école, l’économiste Douglas Elmendorf. Pour Archon Fung, « les experts, de gauche ou de droite, ont prescrit des politiques publiques qui, depuis quarante ans, ont conduit à une hausse continue des inégalités. Celles-ci ont retrouvé leur niveau de 1925, avant la Grande Dépression. On peut comprendre l’insurrection populaire ». Ce que confirme l’historien Alexander Keyssar : « Aux Etats-Unis, les salaires réels des classes laborieuses sont restés stables depuis quarante ans. » Les divergences de revenus alimentent des inégalités croissantes dans la répartition du patrimoine. La richesse moyenne d’un ménage américain est d’environ 100 000 dollars, mais les 400 familles les plus riches possèdent, ensemble, autant que 300 millions d’Américains, les neuf dixièmes de la population. Le ressentiment prospère sur ce terreau.
sauver la réputation de la démocratie exige de réduire la fracture sociale au moyen d’une refonte des politiques avantageant les 20 % de citoyens les plus aisés.
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