Le Point

Le veau n’en fait qu’à sa tête

- Patrick Besson

Au déjeuner « tête de veau » chez Guy Savoy (11, quai de Conti, Paris 6e), on a beaucoup parlé de Roman Polanski. Sur le viol, mon opinion est faite : c’est un crime en pire, car la victime, dans la plupart des cas, restera vivante. Et donc ne pourra pas, même quarante ans après, l’oublier. Elle est condamnée à la perpétuité alors que son agresseur s’en tirera, au pire, avec quelques années de prison. En Iran, un violeur est pendu le lendemain de son acte, sans procès. C’est l’explicatio­n de l’air tranquille qu’ont les Iraniennes le soir dans le métro de Téhéran, assises dans un wagon qui leur est du reste réservé. Le wagon de queue, mais ça se dit autrement en farsi.

Toute réflexion faite, dans le veau, je préfère le pied à la tête. C’est une bonne excuse pour manger de l’oignon cru. Je me souviens qu’au milieu des années 1980, quand j’écrivais des romans rue de Bourgogne, j’en achetais volontiers au traiteur voisin, aujourd’hui disparu. La patronne était une blonde fluide qui aurait mérité d’être végétarien­ne.

Lorsque la tête bouillie de l’animal est arrivée sur la table, j’ai demandé au maître queux – « Comment féminiser cette appellatio­n : maîtresse queux ? » s’interrogea­it Guy Savoy, laissant bouche bée l’académicie­n Jean-Loup Dabadie – s’il servait le plat en salle. Guy a dit que non. A notre sortie de l’établissem­ent, il y avait un couple d’Américains venus de Floride. J’aurais aimé voir leurs têtes devant celle de la bête, mais on mangeait en cuisine, sans doute pour ne pas effrayer les clients. On avait eu, quelques minutes plus tôt, la spécialité végane du maître de maison : une soupe d’artichauts à la truffe. On en a tous repris comme à la maison.

Dans le cochon, tout est bon, et le veau a le même problème. La conversati­on a ensuite glissé sur la charcuteri­e, pratique que je n’aurais pas pu exercer : j’aurais mangé tout mon fonds. Selon Guy Savoy, seules 20 % des charcuteri­es fabriquent leurs produits elles-mêmes, 80 % les achètent à des industriel­s. Je suis sûr que Jacky Gaudin, rue des Abbesses, fait partie des 20 % : ses terrines sont trop bonnes pour sortir d’une usine. J’ai demandé à Dabadie s’il pensait qu’Albert Camus avait choisi, pour son « Etranger », le nom de Meursault après avoir bu, comme nous, du meursault. « Il n’y connaissai­t rien en vins. Il l’aurait plutôt appelé Boulaouane. » Jean-Loup était inquiet : le soir, il se rendait à une avant-première de « J’accuse », le film de Roman Polanski, sur les Champs-Elysées. « Tu crois qu’il y aura des Femen ? » Une bonne occasion, ai-je remarqué, de voir des seins nus sans aller au Moulin-Rouge, sur des sites pornos ou à la maison.

A ma gauche, il y avait Valérie Solvit, l’organisatr­ice du repas, et le chef d’orchestre lillois Jean-Claude Casadesus, qui a fait l’éloge de Martine Aubry mais pas celui de Jean Nouvel : « L’auditorium de Lille n’a coûté que 20 millions d’euros à la communauté.» J’ai bu de la Chartreuse pour la première fois de ma vie. Divin ■

« Comment féminiser cette appellatio­n : maîtresse queux ? » s’interrogea­it Guy Savoy, laissant bouche bée l’académicie­n Jean-Loup Dabadie.

 ??  ?? Guy Savoy.
Guy Savoy.

Newspapers in French

Newspapers from France