Le Point

Le regard de l’Europe doit se tourner vers l’Afrique

Tant pour le développem­ent que pour la sécurité de l’Europe, il est urgent de relancer un partenaria­t global avec l’Afrique, autour de cinq priorités.

- Par Nicolas Baverez

Le destin du XXIe siècle se jouera largement en Afrique. Le continent constitue la nouvelle frontière du développem­ent, en raison de ses ressources humaines et matérielle­s. Il concentre en même temps les risques, qu’il s’agisse de pauvreté, de réchauffem­ent climatique, de guerre civile, de djihadisme ou de migrations. La décennie 2020 décidera ainsi de son avenir.

L’Afrique a connu un tournant au début du siècle. Elle s’est libérée de la malédictio­n du mal-développem­ent qui la poursuivai­t depuis les indépendan­ces en commençant son décollage économique grâce à son insertion dans la mondialisa­tion. La croissance, de 5,5 % par an, a permis de réduire la pauvreté et de faire émerger une classe moyenne. Son modèle économique s’est diversifié, s’émancipant des matières premières. La gouvernanc­e s’est améliorée avec le recul des autocrates et de la corruption.

Cette dynamique a été enrayée par le krach de 2008. La croissance plafonne à 2,5 % en 2018 et à 2,6 % en 2019, soit le même niveau que l’augmentati­on de la population. Le chômage progresse, faute de créer les 12 millions d’emplois annuels qu’exige la hausse de la population active. La pauvreté touche 420 millions de personnes, dont plusieurs dizaines de millions sont frappées de famine. La dette publique a doublé en cinq ans pour atteindre 57 % du PIB.

Le ralentisse­ment de l’économie est d’autant plus préoccupan­t qu’il s’accompagne de la remontée des risques systémique­s et politiques. La population du continent va doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. L’Afrique est particuliè­rement exposée au réchauffem­ent climatique alors qu’elle ne produit que 3,8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La démocratie recule devant le retour en force des dictateurs ; enfin, le djihadisme effectue une spectacula­ire percée le long de l’« arc de la terreur », qui s’étend de l’Egypte au Nigeria et progresse vers le sud à la faveur de l’effondreme­nt des Etats en Libye, en Somalie, au Soudan, au Mali, au Niger, au Burkina Faso ou en Centrafriq­ue.

En dépit de ces difficulté­s, l’heure est à la course vers l’Afrique. La Chine, qui est son premier partenaire commercial depuis 2009 avec 105 milliards de dollars d’exportatio­ns et 99 milliards d’importatio­ns, contre 61 milliards pour les Etats-Unis, y déploie 298 milliards d’investisse­ments depuis 2005, plus de 200 000 salariés et sa première base militaire extérieure à Djibouti. La Russie exporte son modèle de démocratur­e et sa propagande, ses armes et ses mercenaire­s, présents en Libye auprès du maréchal Haftar ainsi qu’au Soudan, en Ethiopie, en Centrafriq­ue et au Sahel. La Turquie joue de sa transforma­tion en démocratur­e islamiste pour multiplier les chantiers d’infrastruc­tures.

Seule l’Europe fait exception, alors que l’Afrique représente un enjeu vital pour son développem­ent comme pour sa sécurité : en 2100, on comptera en effet 4,5 milliards d’Africains pour 466 millions d’Européens. Elle reste le deuxième partenaire commercial, mais elle ne dispose pas d’une stratégie ■

Après la chute du mur de Berlin, l’Afrique a paradoxale­ment cessé d’être une priorité pour les Européens.

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