Un autocrate menaçant
La dernière fois qu’il s’est rendu à Hongkong, en juillet 2017, pour y célébrer le 20e anniversaire de la restitution du territoire par le Royaume-Uni, Xi Jinping avait lancé à la population une sévère mise en garde : « Toute tentative de mettre en péril la souveraineté et la sécurité de la Chine ou de défier le gouvernement central (…) sera considérée comme un acte inadmissible. » Une menace qui résonne encore aujourd’hui. vise la minorité musulmane ouïgoure au Xinjiang, dans le nordouest du pays.
La Chine sous la férule de Xi apparaît de plus en plus comme un colosse brutal et sans scrupule, méprisant la démocratie et les droits de l’homme et cherchant à asservir le monde à ses ambitions. La politique du président est désormais contestée au sein même du Parti communiste chinois (PCC). La fuite de documents internes publiés ce mois-ci par le New York Times révèle la façon dont Xi en personne a orchestré la féroce répression visant les Ouïgours. Un million d’entre eux seraient aujourd’hui incarcérés dans des conditions inhumaines ou embrigadés dans des camps de redressement orwelliens. Que des responsables du Parti aient pu transmettre ces dossiers accablants au quotidien américain démontre que le contrôle exercé par le numéro un n’est plus aussi étanche que ces dernières années.
Xi a-t-il surestimé sa main ? En mars 2018, il se sentait assez puissant pour s’offrir la perspective d’une présidence à vie. Il faisait alors abolir par le Parlement de Pékin la règle limitant l’exercice du pouvoir présidentiel à deux mandats de cinq ans, qui l’aurait obligé à laisser la place en 2023. A 66 ans, chef de l’Etat, du Parti et de l’armée, il concentre plus de pouvoirs qu’aucun de ses prédécesseurs depuis le décès du fondateur de la République populaire, Mao Zedong, en 1976.
Cette puissance considérable a sa face sombre. Depuis qu’il a pris les rênes du pays, Xi a manifesté une intolérance croissante envers toute dissidence interne, à mesure qu’il affirmait le poids de la Chine sur la scène internationale. Le fait d’avoir perdu la face à Hongkong altère deux éléments essentiels de sa doctrine : l’autorité absolue du Parti sur la nation, d’une part ; la restauration de l’intégrité territoriale chinoise, d’autre part.
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Le grand projet de Xi prévoit ■ l’absorption totale de Hongkong (et de Macao) en prélude au rétablissement de la tutelle de Pékin sur l’île de Taïwan, au plus tard à l’horizon du centenaire de la proclamation de la République populaire, en 2049. Au congrès du PCC d’octobre 2017, le président chinois avait proclamé sa victoire prématurément. « Depuis que Hongkong et Macao sont retournés à la mère patrie, l’application du principe “un pays, deux systèmes” dans ces territoires a été un succès retentissant », disait-il.
La réalité s’est chargée de le démentir. Les citoyens de Hongkong ont témoigné dans les urnes et dans la rue que leurs libertés politiques leur étaient plus précieuses que l’intégration à la Chine continentale. La fiction d’une Chine unique a volé en éclats. Et, si le PCC ne parvient pas à affirmer son ascendant sur l’ancien territoire britannique, comment pourrait-il absorber un jour Taïwan et ses 24 millions d’habitants, sauf à recourir à la manière forte ? La crise hongkongaise a conforté sur l’île rebelle le sentiment d’une identité taïwanaise disde tincte et apporté de l’eau au moulin des dirigeants locaux militant pour l’indépendance, à l’instar de la présidente, Tsai Ing-wen, qui brigue un second mandat lors de l’élection prévue le 10 janvier 2020. « Tout cela renforce la présidence taïwanaise, analyse Philippe Le Corre. Pour Xi, c’est complètement contreproductif. Le reproche ne manquera pas de lui être fait à Pékin, si son jusqu’au-boutisme et la crise de Hongkong se traduisent par la réélection de Tsai à la présidence à Taipei. »
De plus, le revers subi à Hongkong jette une ombre sur les prétentions de Pékin à jouer un rôle croissant sur la scène internationale. Une puissance dominante ne peut pas le rester de manière durable en s’appuyant uniquement sur le rayonnement économique et la force militaire. Elle doit aussi exercer une attraction morale et politique. A l’époque de la guerre froide, l’Union soviétique jouait de son idéologie marxiste, qui l’aidait à faire briller son message auprès des déshérités de la planète. Le PCC n’a rien de tel depuis qu’il n’a gardé du communisme que le système répression totalitaire et qu’il a embrassé le capitalisme d’Etat. La leçon des événements de Hongkong, c’est que la Chine de Xi ne fait pas rêver, même parmi des populations qu’elle considère comme siennes. Face à cette résistance, les options de Pékin sont limitées. Le pouvoir central hésite depuis des mois à recourir à la force, par crainte de retomber dans l’ornière qui avait suivi le massacre de Tiananmen, il y a trente ans. L’écrasement du mouvement démocratique estudiantin à Pékin avait suscité l’indignation mondiale. Le soutien déterminé que le Congrès des Etats-Unis apporte aujourd’hui à la jeunesse de Hongkong pèse dans la balance, même si Trump est plus ambigu et qu’on n’entend guère les Européens sur ce sujet.
Plaque tournante. En outre, la prospérité de l’économie chinoise dépend de la bonne santé du territoire semi-autonome, plaque tournante dans les contacts entre la Chine et le reste du monde. Près de la moitié des investissements étrangers directs en Chine ont transité l’an dernier par Hongkong. Pour Pékin, la prudence s’impose. Mais, d’un autre côté, le pouvoir central doit veiller à ce que le virus démocratique ne se répande pas sur le continent. Pour Philippe Le Corre, « le degré de propagande est tellement important en Chine, notamment sur des réseaux sociaux entièrement sous contrôle, que la grande majorité de la population soutient le Parti dans son approche autoritaire ». Néanmoins, observe le sinologue, «le fait que les événements de Hongkong ne suscitent qu’un écho limité ne veut pas dire qu’il n’y a aucune info qui circule ». L’ancien territoire britannique va-t-il devenir le fer de lance démocratique sur le continent? Xi Jinping devrait relire le philosophe confucéen Xunzi, qui écrivait au IIIe siècle avant notre ère, à l’époque des Royaumes combattants : « Le souverain est le bateau, le peuple est l’eau: l’eau peut porter haut le bateau, mais elle peut aussi le faire chavirer. » Le pouvoir chinois est désormais entré dans une zone de forte houle
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La crise hongkongaise apporte de l’eau au moulin des dirigeants taïwanais qui militent pour l’indépendance.