Le Point

La France dans l’embarras

Comment ne pas fâcher Pékin ?

- PAR JÉRÉMY ANDRÉ (À HONGKONG)

«Une déception ! » Lee Cheukyan n’a visiblemen­t pas gardé un très bon souvenir de sa visite à Paris, mi-octobre, avec une délégation de manifestan­ts honkongais. Son audition par des députés français ? « Très bien, une première. » Sa conférence à Sciences po Paris et les questions pièges des pro-Pékin ? Il s’y attendait. Les portes closes de l’exécutif, par contre, lui restent en travers de la gorge.

«L’attitude de Macron traduit le refus de toute rencontre officielle avec le ministre français des Affaires étrangères, se plaint le secrétaire général de la Confédérat­ion des syndicats de Hongkong. Nous avons bien eu un contact avec des canaux non officiels, mais ils n’osent pas nous recevoir publiqueme­nt. Pourquoi est-ce un problème ? » La réponse est évidente: « La semaine après ma visite, c’était la visite de Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, puis il y a eu la visite de Macron en Chine au début du mois de novembre, récapitule-t-il. Lors de nos deux rencontres, on nous a promis chaque fois que Macron parlerait de Hongkong à Pékin. Quand Macron a vu Xi, ils ont signé des accords commerciau­x, puis le président français a assuré avoir mentionné Hongkong au cours de leurs conversati­ons. Xi Jinping comprend bien que les Français ne se soucient pas vraiment de Hongkong et qu’ils s’intéressen­t seulement au business. Ils ont peur de mettre la Chine en colère. Où sont les valeurs de la France?» ajoute-t-il, avant d’évoquer le souvenir des réfugiés de Tiananmen, dont l’Hexagone avait été en 1989 la première terre d’accueil.

Le mouvement est pourtant soutenu dans le monde occidental. En septembre, sa figure la plus connue, Joshua Wong, a pu rencontrer à Berlin Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, et a été reçu par le Congrès américain. Et Trump, qui doit signer la résolution « sur les droits de l’homme et la démocratie à Hongkong », finalement votée ce mois-ci, rappelle à la Chine qu’il a le doigt sur le bouton des sanctions et l’oeil rivé sur les violences policières dans le territoire autonome. Dans ce contexte, le soutien de la patrie des droits de l’homme semblait acquis.

Mais les opposants hongkongai­s ne sont pas dupes, ils savent que plusieurs équipement­s lourds utilisés par la police locale sont produits en France. Trois camions antiémeute Cerberus armés de canons à gaz lacrymogèn­e sont fabriqués par l’entreprise de Saint-Nazaire Sides, filiale du groupe français Armoric Holding. Commandés en 2015, deux mois après la révolution des Parapluies, ils ont été livrés en 2018 et payés par le gouverneme­nt de Hongkong 1,9 million d’euros, selondesdo­cumentsqu’apuconsult­er l’opposition démocrate. Un second modèle de camions blindés est produit par Centigon, société basée à Lamballe-Armor, dans les Côtes-d’Armor, qui a, elle, été rachetée en 2015 par le géant chinois de l’automobile Dongfeng.

Armoric Holding avait assuré en juin au quotidien Libération que «toutes les procédures [avaient] été respectées » et que ce matériel ne nécessitai­t pas d’autorisati­on du Secrétaria­t général à la défense et à la sécurité nationale, son blindage n’étant pas considéré comme « militaire ». « En rencontran­t les députés français, j’ai demandé un arrêt des exportatio­ns de matériel de contrôle des foules à Hongkong, conforméme­nt à la résolution du Parlement européen du 16 juillet », précise Lee Cheuk-yan. Il n’a toujours pas été entendu

Plusieurs équipement­s lourds utilisés par la police hongkongai­se sont produits en France.

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Le président chinois, Xi Jinping, accueille Emmanuel Macron à Pékin, le 6 novembre.
Pragmatism­e. Le président chinois, Xi Jinping, accueille Emmanuel Macron à Pékin, le 6 novembre.

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