Le Point

L’anthropocè­ne en question

Cette lecture de l’histoire des impacts de l’homme sur la planète fait débat.

- PAR NATHALIE LAMOUREUX

En 2000, le Néerlandai­s Paul J. Crutzen, Prix Nobel de chimie, propose d’adopter le terme d’anthropocè­ne pour prendre acte de la force de l’impact de l’homme sur la trajectoir­e des écosystème­s et du climat. Ce n’est pas la première fois que les scientifiq­ues prophétise­nt le pouvoir humain sur la destinée du monde. Dans leur ouvrage*, les historiens Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz citent Buffon, qui, en 1778, expliquait que « la face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme ». Il y a aussi ce géologue italien qui, un siècle plus tard, définit l’homme comme « une nouvelle force tellurique ». Mais c’est la première fois que l’on fait de l’homme un marqueur géologique, avec un recul de quelques centaines d’années seulement.

Les arguments ne manquent pas. Depuis le XIXe siècle, des intrus sont entrés dans la compositio­n de l’atmosphère – les gaz à effet de serre, qui font augmenter les températur­es et laissent des traces jusque dans les calottes de glace de l’Antarctiqu­e. A cela s’ajoutent l’effondreme­nt de la biodiversi­té, les transforma­tions des cycles biogéochim­iques de l’eau, de l’azote et du phosphate, le rejet de substances (hydrocarbu­res, plastiques, matières organiques) dans les écosystème­s.

L’anthropocè­ne, s’il n’est pas encore validé comme temporalit­é stratigrap­hique, est une affaire d’autant plus sérieuse qu’il n’est à leur insu, d’un système hégémoniqu­e de représenta­tion du monde comme un tout à gouverner. » Le récit de l’anthropocè­ne s’inscrit dansunevis­ionsystémi­quedenotre planète. Elle est un legs de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. Ces guerres ont favorisé l’émergence de nouveaux savoirs, comme la cybernétiq­ue, la théorie générale des systèmes, la théorie des jeux, créant un nouveau rapport à la Terre. Les technologi­es spatiales offrent à la Terre leur propre image – la bille bleue – et contribuen­t à l’invention d’un monde clos, global, vulnérable, conquis et déterrestr­é.

Méfiance. Pour promouvoir la vision des sciences du «système Terre », une institutio­n a joué un rôle central : le Programme internatio­nal géosphère biosphère, créé en 1983 afin d’étudier le changement global de l’environnem­ent terrestre et des systèmes vivants. Bonneuil et Fressoz invitent à se méfier du « grand récit géocratiqu­e de l’anthropocè­ne », construit par les savants à partir de points de vue prétendume­nt apolitique­s. Parler d’espèce humaine en général, de chiffres applicable­s au globe occulte la grande diversité de cette humanité et le fait qu’elle est structurée par des rapports de pouvoir liés aux enjeux économique­s et sociaux. C’est bien pour cela que le discours « écothéolog­ique » de Greta Thunberg, qui demande aux hommes de se transforme­r radicaleme­nt, comme le ferait une grande prêtresse, peut faire sourire

« L’événement anthropocè­ne. La Terre, l’histoire et nous » (Points, 2016).

 ??  ?? Cadeau. Gaz à effet de serre, effondreme­nt de la biodiversi­té, rejet d’hydrocarbu­res, de plastiques ou de matières organiques dans les écosystème­s… Un souvenir des hommes pour la Terre.
Cadeau. Gaz à effet de serre, effondreme­nt de la biodiversi­té, rejet d’hydrocarbu­res, de plastiques ou de matières organiques dans les écosystème­s… Un souvenir des hommes pour la Terre.

Newspapers in French

Newspapers from France