Michel Damian : « Des dérèglements climatiques pour des siècles »
Notre salut dépend de la volonté politique et du changement de notre style de développement.
Le Point: Pourquoi les solutions proposées aux conférences sur les changements climatiques ont-elles toujours abouti à une impasse? Michel Damian :
Le changement climatique a été initialement considéré comme un problème d’environnement, de pollution, comme une « externalité », pas comme un problème de modes de production, de consommation et de styles de développement. Si l’on s’est trompé sur le diagnostic, il n’est pas très étonnant que les mesures successivement proposées n’aient pas conduit aux résultats escomptés.
Des batailles sont pourtant engagées pour tenter de réduire les émissions…
Certes, mais l’on voit très mal comment des politiques de réduction extrêmement rapides et à grande échelle pourraient être mises en oeuvre pour éviter un réchauffement de 2 ou 3 °C, ou plus, avant la fin de ce siècle. Car la teneur de l’atmosphère en CO2 ne faiblit pas, elle augmente même continûment : de 1,83 ppm* par an au cours des quarante dernières années, mais de 2,3 ppm par an au cours de la seule dernière décennie. Les modélisations les plus récentes des climatologues pointent, si rien n’est fait, un réchauffement qui pourrait atteindre entre 5 et 7 °C à l’horizon 2100.
Quelles sont les données du problème?
Le taux de concentration de l’ensemble des gaz à effet de serre est quasiment de 500 ppm, c’est-à-dire tout proche du doublement de la teneur de 270-280 ppm de l’époque préindustrielle. Il faudrait pouvoir éliminer le carbone accumulé, et pour cela mettre en oeuvre dès la décennie 2050 ce que l’on appelle des «émissions négatives ». Un défi invraisemblable car, pour l’instant du moins, il n’y a aucune technologie facilement disponible – rigoureusement rien – pour réduire
Michel Damian Professeur émérite à l’Université Grenoble Alpes. Auteur des « Chemins infinis de la décarbonisation » (L’Harmattan, 2015). massivement ce stock. L’humanité est embarquée dans des dérèglements climatiques pour des siècles.
Un accord a été trouvé pour la protection de la couche d’ozone, pas pour le climat. Pourquoi ?
Il n’y a jamais eu un ou des pays leaders souhaitant une réelle avancée dans la prévention des dérèglements climatiques. Le péril de la dégradation de la couche d’ozone était, lui, « simple », car il ne concernait qu’une seule classe de polluants, avec un pays – les Etats-Unis – qui a réussi à entraîner une industrie chimique mondiale cartellisée comprenant 14 producteurs de CFC [gaz propulseurs d’aérosols, NDLR].
Comment les Etats-Unis ont-ils procédé ?
Après l’interdiction des aérosols intervenue aux EtatsUnis en 1978, les producteurs américains se sont plaints que cette réglementation unilatérale allait permettre aux producteurs européens d’accroître leur part de marché. Les Etats-Unis ont alors menacé d’utiliser des sanctions commerciales pour les amener à soutenir un accord multilatéral. Vers le milieu des années 1980, la réglementation était donc devenue inévitable. Il n’y a pas d’acteurs aussi aisément repérables pour les gaz à effet de serre, imbriqués, eux, dans toutes les activités économiques et humaines.
Pourquoi vouloir maintenir l’objectif de 2 °C s’il n’est pas réaliste?
Ce chiffre n’est pas proposé par les climatologues du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. De même, la nécessité de porter la limite du réchauffement à 1,5 °C a été soutenue par une coalition de petits Etats insulaires très vulnérables aux changements climatiques lors de la COP21, en 2015, à Paris. Préoccupation que l’on retrouve également dans le texte de l’accord de Paris
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Partie par million, unité employée pour mesurer le nombre de molécules de CO2 par million de molécules d’air sec.
« Si rien n’est fait, le réchauffement pourrait atteindre entre 5 et 7 °C à l’horizon 2100. »