Le Point

Libérons la « romcom » !

« Last Christmas » marque le retour de la comédie romantique. Etroitemen­t surveillée par les réseaux sociaux.

- PAR PHALÈNE DE LA VALETTE

On la croyait fichue, submergée par les superhéros et dépassée par une époque qui n’a guère d’indulgence pour sa vision normative du bonheur. Mais la comédie romantique – la « romcom », comme l’appellent les Anglo-Saxons – est coriace ! Malgré les mauvaises critiques et les flops qui l’avaient peu à peu marginalis­ée, la voici qui tente une nouvelle percée au cinéma. Après « Yesterday » et sa romance ensoleillé­e sur fond de Beatles en juillet, «Last Christmas» joue la carte de Noël et… George Michael. Les chansons du leader de Wham ! ont inspiré un drôle de scénario à Emma Thompson (« Raison et sentiments »), qui s’en sert pour réinventer l’histoire éternelle de la fille qui rencontre le garçon et en tombe amoureuse – après l’avoir, comme il se doit, détesté au départ. Avec un casting séduisant (Emilia Clarke, la Daenerys

de « Game of Thrones », et Henry Golding, «le nouveau Cary Grant», selon la presse hollywoodi­enne), son esthétique léchée et son marketing assumé, « Last Christmas » illustre le (timide) retour en grâce des comédies romantique­s auprès des studios. On est loin de l’époque où Julia Roberts faisait la pluie et le beau temps, où l’on baptisait des astéroïdes d’après Meg Ryan et où Matthew McConaughe­y enseignait l’art de se faire larguer en dix leçons. En ce temps-là (de 1989 au début des années 2000), la comédie romantique était une vedette, un genre chéri des spectateur­s, prêts à fondre devant « Coup de foudre à Notting Hill » ou « Vous avez un message », appréciée des acteurs qui pouvaient y bâtir leur carrière, adorée des producteur­s qui n’y risquaient pas grand-chose (les budgets sont toujours modestes) et gagnaient gros en cas de succès. Aujourd’hui, McConaughe­y s’est reconverti en « True Detective » et la romcom ne parvient plus à se frayer une route jusqu’au grand écran. Ou du moins n’y parvenait plus jusqu’à ce que Netflix fasse des émules.

Au nez et à la barbe d’un Hollywood obnubilé par les franchises, le géant de Los Gatos s’est emparé du créneau. Les statistiqu­es lui montraient que les comédies romantique­s hébergées sur sa plateforme étaient toutes très regardées. Alors, pourquoi ne pas investir dans ce type de contenu ? « A tous les garçons que j’ai aimés », « A Christmas Prince », « Always Be My Maybe»… pas moins de seize romcoms ont été lancées par Netflix à ce jour. Le public, visiblemen­t en manque, se jette dessus: 80 millions de personnes (soit près des deux tiers des abonnés) ont déjà regardé

un film romantique sur le service de streaming. De quoi piquer la curiosité des studios, qui s’intéressen­t à nouveau aux scénarios qu’on leur soumet. Celui de « Crazy Rich Asians », par exemple, n’a pas échappé à Warner. Sortie l’année dernière, cette sympathiqu­e comédie romantique sur la jet-set singapouri­enne (avec le fameux Henry Golding) a récolté

238,5 millions de dollars au box-office mondial, pour un budget de 30 millions. C’est le premier succès du genre au cinéma depuis 2009 ! La presse anglo-saxonne se félicite du casting 100 % asiatique et en fait l’étendard du combat pour la représenta­tion des minorités au cinéma.

Catharsis. Eh oui, les romcoms de nos jours ne se contentent plus de parler d’amour, elles doivent répondre à des impératifs sociétaux de plus en plus forts. Diversité, féminisme, climat, on coche le maximum de cases pour éviter le tribunal des réseaux sociaux. Il ne faudrait pas être accusé, comme « Love Actually » ces derniers temps, de promouvoir le harcèlemen­t. « On a toujours un peu peur de lancer une polémique sans le vouloir, donc on reste sur nos gardes », admet Paul Feig, le réalisateu­r de «Last Christmas ». Emma Thompson nous raconte de son côté avoir eu toutes les peines du monde à imposer un personnage féminin névrosé. «Les studios m’ont dit : “Oh non, on ne peut pas la laisser pleurer, sinon on nous accusera de présenter des femmes faibles.” »

Mélo sans complexe, presque candide, « Last Christmas» est une tentative louable de retour aux romcoms classiques des années 1990. Mais son sujet principal n’est pas l’amour ni le couple, mais l’épanouisse­ment individuel. Kate, l’héroïne, traverse une crise existentie­lle et le film se penche surtout sur sa nécessaire reconstruc­tion. «On y parle du Brexit, de l’avenir du monde, se félicite Emilia Clarke. C’est bien plus qu’une romcom. » Un souci du réalisme qui permet une plus grande identifica­tion aux personnage­s mais qui élimine une partie de la fonction des comédies romantique­s: le rêve. « Les romcoms sont des contes de fées modernes, explique Edouard Brasey, auteur de “La petite encyclopéd­ie du merveilleu­x” (Le Pré aux Clercs). Comme les contes, elles n’ont pas vocation à être réalistes. On a besoin, dans un monde stressant, de trouver des bulles de confort, des histoires dans lesquelles tout finit bien. Les comédies romantique­s jouent un rôle cathartiqu­e. Le monde du rêve, c’est un monde qui répare les blessures affectives. Le temps d’une romcom, on oublie sa souffrance, et après on se sent mieux. » Avis aux producteur­s du genre…

« Les studios m’ont dit : “Oh non, on ne peut pas la laisser pleurer, sinon on nous accusera de présenter des femmes faibles.” »

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Classique. Kate (Emilia Clarke) rencontre Tom (Henry Golding) et sa vie s’en voit bouleversé­e.
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