Le Point

Un tournage impossible

- FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Récit. Arletty a dit un jour à un journalist­e : « C’était fini, c’était raté, et voilà. Ça arrive dans la vie pour les plus grands trucs. » Elle parlait de « La fleur de l’âge », un film du duo Carné-Prévert qu’elle commença à tourner en 1947 à Belle-Ile et qui ne fut jamais terminé. Nicolas Chaudun, fasciné par l’inachèveme­nt, rouvre le dossier de ce « grand truc » maudit inspiré par l’un des bagnes pour enfants les plus durs que connut la France. L’affaire avait pourtant démarré en trombe, en 1936, porté par un Prévert révolté par des cas de mutinerie et de chasse aux gosses. Mais le Front populaire, plus enclin à célébrer le bonheur payé, avait refusé le projet. Exhumé après la guerre, il semblait décalé dès lors que la loi de 1945 avait aboli ces établissem­ents inhumains. Durant le tournage : malchance et embûches – climatique­s, syndicales, financière­s. Carné, vérifiant ainsi que l’enfer est pavé de bonnes intentions, vit un calvaire et jette l’éponge. Mais 200 plans sur 1000 ont été tournés et vingt-cinq minutes du film ont été projetées en 1954, en présence de François Mitterrand.

Que sont-elles devenues ? Chaudun mène l’enquête et, pour le découvrir, dérange la dernière survivante, Anouk Aimée, Nicole Dreyfus de son vrai nom, que Prévert a changé lors de ce tournage. Les scènes avec la star, qui refuse de vieillir et de se souvenir vraiment, sont désopilant­es et d’une alacrité féroce. Chaudun prend à bras-le-corps cette Atlantide cinématogr­aphique. L’énigme d’un temps qui passe et efface les pas d’un cinéma désuni

« L’île des enfants perdus », de Nicolas Chaudun (Actes Sud, 192 p., 18,80 €).

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Anouk Aimée, 15 ans, dans « La fleur de l’âge ».

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