Le Point

Les nouvelles routes du Ponant

A l’initiative du croisiéris­te, Olivier de Kersauson et Nicolas Dubreuil balisent de futurs itinéraire­s.

- PAR NATHALIE LAMOUREUX

Le voyage inaugural s’est terminé il y a quelques semaines dans l’archipel des Bijagos, en Guinée-Bissau, l’un des pays les moins touristiqu­es du monde. Une mission au parfum d’inconnu dont les premiers échos donnent le sentiment de pénétrer dans une intimité végétale, un lieu réservé. « C’est dans ce genre de région que l’on peut le plus sensibilis­er les gens au monde sauvage. La nature est forte. On entre dans la forêt comme dans une cathédrale », exulte l’aventurier Nicolas Dubreuil, guide d’expédition chez Ponant. L’excursion a pour nom Discovery. Un nom qui claque. Un nom qui renvoie à l’imaginaire spatial, maritime, musical, et même à une variété de pommier. Un nom, enfin, qui ravive l’esprit de découverte, le plaisir de braver l’horizon. « Notre marque de fabrique, c’est d’aller là où les autres ne vont pas, d’accéder par la mer aux trésors de la terre. Cette aspiration, tout le monde l’a, mais peu parviennen­t à la concrétise­r, explique Jean-Emmanuel Sauvée, directeur général de Ponant, qui a rejoint en 2015 le holding Artemis (également propriétai­re du Point). Pour réussir, en étant le plus créatif possible, il faut découvrir de nouvelles escales. »

Là où les autres ne vont pas. Mais où cela peut-il bien se trouver, alors que nous sommes allés au bout de cette Terre que l’on croyait plate? « C’est partout autour de la planète, là où les autres ne vont pas, mais on tourne en rond, s’amuse Jean-Emmanuel

Sauvée. Prenez les îles du Ponant : personne ne les connaît toutes. Les gens s’agglutinen­t au même endroit par habitude touristiqu­e. Notre objectif est de construire des itinéraire­s sur des sites très peu connus puis de les faire rayonner. » Réjouisson­s-nous, il y aurait encore une portion du monde plongée dans le noir. Pour mettre en musique son projet et conserver sa position d’ouvreur de voies, la compagnie s’est attaché un homme qui a voué sa vie à la mer et qui a remporté les plus belles courses, jusqu’à devenir l’Amiral. Retiré de la compétitio­n, exilé à Tahiti, Olivier de Kersauson continue de régner sur la mer. L’aristocrat­e breton n’est pas un colosse infaillibl­e et il a le mérite de tordre le cou au mythe des blancs sur la carte géographiq­ue. « Contrairem­ent à ce que l’on croit, sur l’ensemble de la planisphèr­e, la cartograph­ie marine est très défaillant­e. Le long des côtes australien­nes, il y a plein de cailloux non repérés.» «En fonction de ce qu’on va découvrir, précise Jean-Emmanuel Sauvée, on va préparer l’arrivée de nos navires, repérer la baie, la plage pour faire un barbecue, prendre un apéro au coucher du soleil. »

Ouf ! Et dire que nous avons cru, comme Descartes, que nous allions devenir maîtres et possesseur­s de la nature. « On n’emmène pas les gens visiter Venise. On va dans des endroits sauvages où il est intéressan­t de s’arrêter, et pour cela il faut que l’on fasse nos propres cartes », insiste Olivier de Kersauson. Où par exemple ? « Je ne vous le dirai pas. C’est comme les champignon­s, faut pas révéler ses coins, et puis ça ne vous regarde pas, s’amuse le pirate breton. Il faut être rusé pour ne pas dire que c’est formidable. » « Cela entraîne en retour une responsabi­lité énorme vis-à-vis des personnes embarquées, des zones où l’on projette de partir et des habitants qui y vivent, poursuit le patron de Ponant. Notre concept est de fuir le tourisme de masse, de montrer des lieux et de laisser le moins de trace possible. »

Magellan. Sauvée et Kersauson, passionnés de bleu, sont sur la même longueur d’onde. Leur rencontre tient en quelques phrases jetées sur un foyer. « On m’a demandé si je ne voulais pas faire des croisières. J’ai dit: “Vous vous foutez de ma gueule ?”, lâche Kersauson. Après, on m’a dit: “Disnous où tu veux aller.” Et là on s’est fait une croisière dans le détroit de Magellan avec un capitaine aventureux. On s’est arrêté à San Julian, là où Magellan prend le pouvoir [face à des mutins qui doutent de l’existence d’un passage et surtout des chances de survie, NDLR]. Dans cette navigation nord-sud, Magellan voit arriver le sombre, l’hiver. C’est noir comme le trou du cul d’un hérisson, une mer angoissant­e qui déclenche la peur, personne ne sait s’il va revenir. On ne pouvait passer qu’à marée haute, les gens n’avaient jamais vu un paquebot de cette taille. » ■

Nicolas Dubreuil (haut g.), guide et aventurier, parcourt les mers sur « Ocean Alchemist », trimaran conçu par Olivier de Kersauson, à la recherche de voies touristiqu­es inexplorée­s.

« La terre commence là où la mer s’arrête – et pas l’inverse –, la mer n’est pas la fin de la terre, comme tout le monde pense. La terre, c’est un accident de l’océan. » « Le monde comme il me parle », d’Olivier de Kersauson (Points Aventure, 2014).

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