Le Point

Ralph Lauren, l’étoffe du rêve américain

A l’occasion de la sortie du documentai­re « Very Ralph », Le Point a rencontré le créateur new-yorkais, qui a bâti son empire comme un réalisateu­r hollywoodi­en.

- PAR FABRICE LÉONARD

«Vous n’avez pas seulement créé un concept global de mode et de style, mais, par votre constance et votre intégrité, vous l’avez aussi protégé, rappelant ainsi les meilleures choses de la vie. Aujourd’hui, quand on dit que quelque chose est “very Ralph Lauren”, on est immédiatem­ent compris. » Ces mots d’Audrey Hepburn en hommage à Ralph Lauren ouvrent le documentai­re « Very Ralph », consacré à ce fils d’immigrés juifs ashkénazes élevé dans le Bronx, qui aurait voulu être Cary Grant ou Joe DiMaggio, le champion de baseball qui a épousé Marilyn. Il a plutôt bâti son empire dans la mode, réussissan­t à vendre au monde entier l’image d’une Amérique fantasmée orchestrée comme un long-métrage où tout n’est que beauté, joie et élégance.

A 80 ans, il n’a renoncé à rien : cheveux blancs, teint hâlé, yeux très clairs, veste de motard et col roulé sombre, chevalière en argent à l’annulaire, il apparaît paisible et serein alors que Paris le célèbre entre Légion d’honneur à l’Elysée – Emmanuel Macron l’a promu officier – et dîner chez la comtesse de Ribes. Un rêve éveillé pour celui qui a vécu sa vie comme un film dont il écrit lui-même le script. Première étape, soigner le casting en changeant de patronyme ou comment Ralph Lifschitz se baptise, à 16 ans, Ralph Lauren, abandonnan­t un nom sujet à des jeux de mots graveleux (« Lif-shit ») pour un clin d’oeil à Lauren Bacall, l’une des incarnatio­ns de son rêve américain. Avant même d’être connu, il ne s’habille pas comme les autres et détourne codes et registres « J’adorais les vieux vêtements de l’armée que je trouvais dans les surplus, confie-t-il. Et j’avais des idées fixes, comme une veste indienne à franges, qui n’existait pas en magasin. Athlétique, je portais aussi des vêtements de sport. J’allais beaucoup au cinéma, j’étais un fan de westerns. J’aimais Frank Sinatra, Fred Astaire, Cary Grant. Les films, les livres, les vitrines des magasins, les gens que je regardais, tout cela était dans ma tête, je fabriquais des histoires sans forcément m’en rendre compte. Peut-être parce que j’ai hérité de mon père peintre le sens du style et des couleurs, ces histoires se traduisaie­nt sous une forme esthétique. Le sport, le western, les ranchers, les ouvriers… J’étais comme “romancé” par différente­s vies », analyse-t-il aujourd’hui.

Au départ de l’aventure entreprene­uriale, une obsession : créer une de ces cravates larges de l’âge d’or de Hollywood. Il en fait fabriquer et démarche lui-même les grands magasins. L’enseigne Bloomingda­le’s le jauge d’un air circonspec­t, lui proposant de les diffuser, à condition qu’elles soient plus fines et estampillé­es du label du grand magasin. « J’ai refusé, refermé mon sac et je suis parti. » Six mois plus tard, le patron du mastodonte le rappelle et lui prend ses cravates larges à rayures. En 1967, un entreprene­ur de mode, Norman Hilton, le remarque et lui fait une offre : « Accepterie­z-vous de travailler pour moi ? – Non, répond le jeune homme, je veux créer ma propre maison. » Ralph Lauren lui emprunte 50000 dollars et lance son label, Polo. Un succès. Au bout d’un an, il élargit sa collection aux chemises, aux costumes et autres vêtements pour hommes.

L’art du cliché. Viendront, au fil des ans, la femme, les enfants, la maison, les parfums, les restaurant­s. Un empire toujours en extension – seule l’hôtellerie n’y a pas sa place « J’y ai pensé. Mais il faut trouver le bon moment et le lieu idéal », répond avec malice le désigneur. Un art de vivre global qu’il met en scène comme un réalisateu­r hollywoodi­en. Tout participe du lifestyle Ralph Lauren : ses chevaux, ses voitures de collection, sa villa à la Jamaïque, son manoir dans le Connecticu­t, sa maison des Hamptons, son ranch

dans le Colorado, son appartemen­t ■ de l’Upper East Side, à Manhattan – des lieux qui ont inspiré la décoration de ses boutiques. Les autres acteurs du rêve Lauren sont ses enfants – Andrew, producteur, Dylan, sa fille qui a fondé Dylan’s Candy Bar à Manhattan, David, son possible successeur à la tête de l’empire – et son frère Jerry, qui travaille aussi à ses côtés. « Ce sont mes meilleurs amis, à la fois bienveilla­nts et critiques. David apporte un regard nouveau sur la griffe. » Et puis, naturellem­ent, il y a Ricky, son épouse depuis cinquante-six ans. « Elle est ma grande source d’inspiratio­n. Elle est toujours la plus belle, elle a du goût et une élégance naturelle. Surtout, elle a un oeil critique sur mes collection­s », ajoute-t-il.

Intuition. Si la réussite est au rendezvous depuis 1967, ces dernières années ont été quelque peu chahutées. Ralph Lauren semblait être un peu tombé de son piédestal avec des profits divisés par deux et une difficulté à rivaliser avec des griffes émergentes auprès d’un public plus jeune. Face aux vicissitud­es, il a opposé la permanence d’un style. Des vêtements élégants, mais pas compliqués et pour tous publics, revisités pour une clientèle en quête de classiques « cool ». Il ajuste proportion­s, matières et couleurs d’un blouson en jean, d’un trench ou d’un blazer à l’air du temps.

« Je ne pense pas mode, mais style. J’aime créer des pièces qui se bonifient avec le temps. » Une permanence qu’il a été le premier à faire rimer avec diversité : ses campagnes de publicité et ses podiums ont mis en scène avant l’heure des tops comme Naomi Campbell et Tyson Beckford, incluant ainsi dans son rêve américain des communauté­s qui, historique­ment, avaient pu en être exclues. Une intuition qui se conjugue avec le souci de ne pas transiger sur l’essentiel : sa foi dans son propre rêve. Lui pose-t-on la question du devenir de cette quête après lui qu’il répond : « Je ne sais pas. Je n’ai jamais rien planifié. J’ai tout construit à partir d’un rêve, ça m’a toujours réussi. » Une pirouette « very Ralph » ■

« Very Ralph », un documentai­re de Susan Lacy (2019). Durée : 1 h 43. Diffusion en vidéo à la demande sur OCS.

« Je ne pense pas mode mais style. J’aime créer des pièces qui se bonifient avec le temps. » Ralph Lauren

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 ??  ?? Ralph Lauren et sa femme, Ricky (ici, en 1977), mariés depuis cinquante-six ans, ont eu trois enfants : Andrew, Dylan et David. Ce dernier travaille aux côtés de son père.
Ralph Lauren et sa femme, Ricky (ici, en 1977), mariés depuis cinquante-six ans, ont eu trois enfants : Andrew, Dylan et David. Ce dernier travaille aux côtés de son père.

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