L’Allemagne, l’autre pays de l’horlogerie
Il n’y a pas que les montres suisses : outre-Rhin, la tradition horlogère reste vive. Reportage à Glashütte.
S’ intéresser à l’horlogerie allemande ? Et pourquoi donc ? Peut-être parce que c’est à Nuremberg qu’un dénommé Peter Henlein aurait fabriqué la première montre de l’Histoire, en 1504. Et que, depuis la réunification du pays, il y a trente ans, la deutsche Qualität s’applique aussi dans ce domaine. Alors cap à l’est, vers la paisible bourgade de Glashütte, nichée dans les forêts de la région de Dresde, non loin de la frontière tchèque. Cette dernière doit sa renommée à Ferdinand Adolph Lange. En voyageant à travers la Suisse, cet horloger né à Dresde en 1815 découvrit de nouvelles méthodes de fabrication, notamment la spécialisation des fonctions. De retour dans sa ville natale, il décida de s’inspirer de cette formule, préférable, selon lui, à la réalisation d’une montre de A à Z par une seule personne. Il la mit bientôt en application. Lange dénicha une quinzaine de mineurs et de paysans en quête d’emploi et prêts à se former à la fabrication de composants horlogers. Il ne lui resta plus qu’à solliciter une aide financière du roi de Saxe, Frédéric-Auguste II, et à trouver un lieu où implanter ses futurs ateliers. En raison de la proximité des sources d’approvisionnement en fer et de la main-d’oeuvre disponible, un nom s’imposa : Glashütte. Pour donner de l’ampleur au projet, Lange demanda à d’autres horlogers dresdois de le rejoindre dans cette aventure, qui démarra en 1845, avec l’ouverture de sa manufacture. Des dizaines d’autres maisons allaient très vite éclore et l’on vit apparaître au fil des années pléthore de noms sur les cadrans des montres fabriquées dans la cité. Pour apporter un peu d’unité dans cette production de grande qualité mais disparate, beaucoup de ces horlogers résolurent de se réunir sous une signature commune : « Glashütte ». Bientôt, le label s’enrichit : un certain Karl Höhnel décida en 1916 d’ajouter sur le cadran des montres qu’il réalisait une mention plus précise : «Original Glashütte». Pour clarifier davantage encore la localisation, plusieurs fabriques ajoutèrent par la suite trois lettres, I/SA (in Sachsen, en Saxe). D’autres signes distinctifs servirent également de signature visuelle, à l’image de la platine trois quarts, créée en 1864 par Ferdinand Adolph Lange, ou du système de réglage par une pièce nommée « col de cygne ».
Une ville à l’heure allemande. En 1920, c’est à Glashütte qu’Alfred Helwig mit au point le tourbillon volant. Mais n’allez surtout pas demander aux employés des maisons allemandes d’aujourd’hui de comparer la qualité de leurs montres à celle de leurs homologues helvétiques. Tout juste avouent-ils du bout des lèvres figurer « au moins » au même niveau. Et, si l’on insiste, ils finissent par admettre une différence de philosophie, davantage tournée vers la robustesse et la fonctionnalité. Les plus audacieux murmureront, presque sous le sceau du secret, que le Contrôle officiel suisse des chronomètres (COSC) exerce ses tests sur des mouvements nus tandis que son équivalent germanique, le DKD, vérifie la précision sur des montres complètes. Au-delà de la technique, c’est toute l’histoire de l’Allemagne qui se lit dans ses montres, luxueuses et richement ornementées en période faste, plus dépouillées lors des moments difficiles – ce qui fut le cas à partir de 1945. Dans les ultimes heures du conflit, des bombardements rasèrent en grande partie la ville et ses manufactures. A partir de 1949, alors que la ville se trouvait désormais en RDA, toute l’industrie horlogère de Glashütte fut regroupée au sein d’une société d’Etat. Si le style de sa production
témoignait de la rigueur de l’époque, une montre automatique baptisée Spezimatic remporta néanmoins un immense succès, s’écoulant à plusieurs millions d’exemplaires. La chute du Mur et la réunification conduisirent à la privatisation du conglomérat et la naissance de plusieurs marques comme Glashütte Original – propriété du Swatch Group depuis 2000 – alors que Walter Lange permettait à A. Lange & Söhne, après un sommeil de près de cinquante ans, de connaître une seconde naissance. Elles ne sont pas les seules : Bruno Söhnle, Moritz Grossmann, Mühle, Nomos, Tutima, Union ou Wempe contribuent aussi à la renommée de la ville, alors que la Bavière, la Rhénanie ou le BadeWurtemberg rythment le temps avec des marques comme Junghans (qui fut au début du XXe siècle la plus grande manufacture horlogère du monde), Sinn, Stowa, Meistersinger et bien d’autres. Et si l’Allemagne était bien l’autre pays des horloges ?
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