Le Point

Otan : mort impossible, réanimatio­n souhaitabl­e

Même si elle traverse une crise sans précédent, l’Alliance conserve de nombreux atouts et une importance indiscutab­le.

- Par Nicolas Baverez

Le général de Gaulle, le 13 octobre 1965, confiait à Alain Peyrefitte : « L’Alliance cessera d’exister quand le rideau de fer se lèvera. » L’Otan a pourtant survécu à la chute du mur de Berlin. Après l’effondreme­nt de l’URSS, elle a piloté la réunificat­ion de l’Europe et est intervenue pour mettre fin aux conflits de l’ex-Yougoslavi­e. Depuis 2014, elle a puisé une nouvelle raison d’être dans la réponse à l’expansion de la Russie, qui s’est traduite par l’annexion de la Crimée, la guerre du Donbass, l’interféren­ce dans les scrutins et le soutien des forces populistes en Europe.

L’Alliance connut de multiples secousses durant la guerre froide. Elle affronte aujourd’hui une crise sans précédent depuis sa création, en 1949. Le sommet de Londres en témoigne. En guise de célébratio­n du 70e anniversai­re du traité, il a vu Emmanuel Macron, au lendemain de ses déclaratio­ns diagnostiq­uant « l’état de mort cérébrale » de l’Alliance, tancer Donald Trump à propos de la guerre commercial­e et de la lutte contre le terrorisme islamiste. Le président américain, outre une volée de tweets vengeurs, a répondu par la dénonciati­on des alliés affectant moins de 2 % de leur PIB à la défense et par l’imposition de 2,4 milliards de dollars de droits sur les champagnes, les sacs et les fromages français en représaill­es à la taxe sur les Gafam. La crise de l’Otan est désormais publique. Elle est opérationn­elle avec le désastre de l’Afghanista­n et le face-à-face entre les forces turques et alliées en Syrie. Elle est stratégiqu­e avec la dislocatio­n du système de sécurité du continent européen et la perte de crédibilit­é des EtatsUnis après leur abandon de la Corée du Sud face à Pyongyang, de l’Arabie saoudite face aux frappes iraniennes, des Kurdes face au nettoyage ethnique engagé par la Turquie. Elle est politique avec le tournant isolationn­iste des Etats-Unis et avec la transforma­tion de la Turquie en une démocratur­e islamique et son rapprochem­ent avec la Russie.

Les causes de la discorde qui mine l’Alliance sont profondes et durables. Au-delà des excès de Donald Trump, elles renvoient à la lassitude des Américains devant la charge du fardeau impérial et à la priorité que les Etats-Unis accordent à leur confrontat­ion avec la Chine. Surtout, elles s’enracinent dans la décomposit­ion de la démocratie américaine et la polarisati­on de l’opinion, la fin du consensus et la prise en otage de la politique étrangère et de défense par les clivages partisans. Avec pour illustrati­on le

Napoléon rappelait que « rien ne marche dans un système politique où les mots jurent avec les choses ».

chantage de Donald Trump sur le président ukrainien, Volodimir Zelenski, conditionn­ant l’aide américaine à l’ouverture d’une enquête contre son rival, Joe Biden, et son fils Hunter.

L’avertissem­ent lancé par Emmanuel Macron sur la crise de l’Otan et la vulnérabil­ité de l’Europe, qui se situe en première ligne face aux démocratur­es et au djihadisme, est donc loin d’être infondé. Mais sa crédibilit­é est mise en question par le sousinvest­issement de la France dans ses armées, dont le potentiel se dégrade du fait de leur surengagem­ent – notamment au Sahel – et surtout par son incapacité à proposer une alternativ­e à l’Otan pour assurer la sécurité du continent. Par ailleurs, le moment de ce coup d’éclat – qui coïncide avec le 30e anniversai­re de la chute du mur de Berlin – dénote une incompréhe­nsion et un mépris sans bornes envers nos partenaire­s européens.

Le goût d’Emmanuel Macron pour la transgress­ion, qu’il partage avec Donald Trump, tout comme sa fascinatio­n pour Vladimir Poutine, laisse un bilan désastreux. Les Etats-Unis ont fait acter leur désengagem­ent en ramenant leur participat­ion de 22 à 16 % du budget. L’Allemagne et nos partenaire­s d’Europe du Nord et de l’Est ont décidé d’affecter l’augmentati­on de leur effort de défense à l’Otan et non à l’Europe de la sécurité. La solidarité occidental­e est un peu plus affaiblie, la défense européenne demeure dans les limbes et la France se trouve complèteme­nt isolée.

Enterrer l’Otan constitue une erreur historique tant pour les Etats-Unis que pour l’Europe. Tout d’abord, le volet militaire et opérationn­el de l’Alliance fonctionne. Ensuite, l’Europe, a fortiori après le Brexit, qui la prive du tiers de son potentiel militaire, n’a pas d’alternativ­e à l’Alliance pour faire face à la Russie, pour gérer la Turquie, pour négocier une nouvelle architectu­re de sécurité du continent. Il en va de même pour les Etats-Unis, dont la confrontat­ion avec la Chine est globale et dont la situation serait gravement compromise si l’Europe devait passer sous le contrôle de Pékin.

Dès lors, la solution défendue traditionn­ellement par la diplomatie française et fracassée par Emmanuel Macron est la seule raisonnabl­e : construire au sein de l’Alliance un pilier européen se dotant de la capacité à conduire des opérations. D’un côté, il convient de poursuivre la modernisat­ion de l’Otan en renforçant la gestion des conflits hybrides comme la conduite de la guerre de haute intensité, les capacités de riposte rapide, le renseignem­ent et les investisse­ments dans la cyberguerr­e. De l’autre, les Européens doivent réarmer, remplir leur engagement de consacrer 2 % de leur PIB à la défense en 2025 et se donner comme objectif de long terme leur autonomie stratégiqu­e.

Napoléon rappelait que « rien ne marche dans un système politique où les mots jurent avec les choses ». Cela est vrai des Etats-Unis, qui s’affaibliss­ent face à la Chine en s’aliénant leurs alliés. Cela est vrai de l’Europe, qui ne peut prétendre survivre et promouvoir ses valeurs sans disposer des moyens d’assurer sa sécurité. Cela est vrai de la France, qui ne peut singer le discours de la puissance avec un Etat en faillite, une économie exsangue et une société en situation de guerre civile froide

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Le rayon électromén­ager résistait héroïqueme­nt.

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