Le Point

La défaite des anti-Black Friday

Malgré les appels répétés à boycotter cet événement, les consommate­urs ont dépensé plus que les années précédente­s.

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par Pierre-Antoine Delhommais

Les Français sont restés sourds aux appels répétés et émus pour un boycott du Black Friday. Cinquante-six millions d’opérations par carte bancaire ont été enregistré­es le 29 novembre, soit 6 millions de plus qu’en 2018, 13 millions de plus qu’en 2017, soit aussi 5 millions de plus que le précédent record de transactio­ns établi, lors du dernier Noël, le 22 décembre.

L’édition 2019 du Black Friday se présentait pourtant plutôt mal en France au vu de la vague très médiatisée de critiques et de manifestat­ions qui avait déferlé contre « cet hymne à la gloire du consuméris­me », venu, histoire d’aggraver encore son cas, des Etats-Unis : blocage des entrepôts d’Amazon, sit-in dans les centres commerciau­x, dépôt à l’Assemblée nationale d’un amendement visant à interdire cette journée au prétexte qu’elle donne lieu à des pratiques commercial­es agressives et illégales, etc. Le gouverneme­nt lui-même y était allé de son couplet, la secrétaire d’Etat à la Transition écologique, Brune Poirson, parlant d’« une double arnaque » pour la planète et pour les consommate­urs, tandis que sa ministre de tutelle, Elisabeth Borne, dénonçait une « frénésie de consommati­on » où « à coups de remises, de publicités on vous incite à acheter des produits dont vous n’avez pas nécessaire­ment besoin ». Au-delà du vif plaisir que procure le fait de voir les Français ignorer superbemen­t les discours moralisate­urs et défendre leur liberté de dépenser, le succès du Black Friday est venu confirmer que la soif de consommati­on est, dans notre pays, particuliè­rement intense. Le mouvement des gilets jaunes l’avait déjà révélée, dont la revendicat­ion originelle en faveur du pouvoir d’achat était clairement destinée à remplir les chariots de supermarch­é. De toute évidence, le plaisir de faire chauffer sa Carte bleue l’emporte sur la mauvaise conscience de réchauffer la planète.

Les records de ventes observés lors du Black Friday corroboren­t les prévisions de l’Insee selon lesquelles, à la suite des mesures annoncées par Emmanuel Macron en réponse à la révolte des ronds-points, le pouvoir d’achat connaîtra cette année une forte progressio­n. Il ne fait aucun doute qu’une partie substantie­lle des 17 milliards d’euros octroyés généreusem­ent par le gouverneme­nt est allée, en ce « vendredi Saint-Consommati­on », gonfler le chiffre d’affaires d’Amazon.

L’appétit de consommati­on des Français peut d’autant mieux se comprendre qu’ils ont été, au cours des dernières années, mis à un régime sec qui a contribué à la montée de la grogne sociale. La dépense de consommati­on des ménages (en volume)

Le niveau de consommati­on joue un rôle clé dans le sentiment de bien-être des ménages.

a progressé en moyenne de 0,95 % par an de 2010 à 2018, ■ alors qu’elle avait augmenté de 1,70 % lors de la décennie 2000, sans parler des 5,50 % de hausse record observée lors de la décennie 1960. N’en déplaise à nos amis décroissan­ts, toutes les études indiquent que le niveau de consommati­on joue un rôle clé dans le sentiment de bien-être des ménages : plus on dépense, plus on est heureux.

La sensibilit­é consuméris­te est devenue d’autant plus grande que les Français dépensent, en proportion de leurs revenus, de plus en plus pour leurs loisirs et de moins en moins pour acquérir des biens de première nécessité. Alors qu’en 1960 l’alimentati­on et l’habillemen­t totalisaie­nt près de 40 % des dépenses de consommati­on, elles n’en représente­nt aujourd’hui qu’un peu plus de 20 %. A l’inverse, le poste « communicat­ion, loisirs et culture » a pratiqueme­nt quadruplé en soixante ans.

L’envie de consommer des Français pourrait en tout cas constituer un allié de poids pour le gouverneme­nt dans le bras de fer qu’il a engagé avec les syndicats. Il n’est pas sûr que les Français continuent d’apporter leur soutien aux grévistes s’ils les empêchent de faire leurs courses de Noël, s’ils les privent du plaisir d’offrir et, surtout, de la joie de sortir leurs cartes de crédit

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