Le dangereux Guantanamo européen
Laisser les djihadistes français de l’Etat islamique sous la garde des Kurdes de Syrie est une option aussi lâche que risquée.
Longtemps l’Europe vertueuse s’est indignée de Guantanamo, ce camp militaire américain en terre cubaine où des centaines de suspects de terrorisme ont été détenus depuis 2002, hors de tout cadre légal. Que n’a-t-on entendu sur les méthodes barbares des Américains après les attentats du 11 Septembre ! Pourtant, les Européens ont désormais leur Guantanamo, dont ils détestent entendre parler : les prisons kurdes du nord de la Syrie. Des centaines de ressortissants de pays européens passés par l’Etat islamique y sont détenus sans jugement ni inculpation. Ils sont souvent vêtus de combinaisons orange, comme celles des détenus de « Gitmo », comme celles aussi dont ils revêtaient leurs victimes avant de les égorger.
Après les abominations perpétrées par Daech, les citoyens sont légitimement effrayés d’un retour de ces terroristes présumés et de leurs familles. Ils souhaitent – c’est compréhensible – qu’ils restent éloignés de la France, peu importe leurs conditions de détention. Néanmoins, le devoir des autorités françaises – comme de leurs homologues allemandes, britanniques, belges ou autres – est de protéger leurs populations du risque terroriste. Laisser les sicaires européens de Daech dans les camps de détention kurdes, c’est courir le risque qu’ils puissent s’en échapper. Ils pourraient alors reprendre leurs actions terroristes, voire être manipulés par des Etats comme l’Iran ou la Syrie.
La ministre des Armées, Florence Parly, a reconnu ce danger dans un discours prononcé le 13 juin à Pau. Elle a évoqué l’armée terroriste qui, « même lorsqu’elle croupit dans les prisons kurdes (…), est une armée qui attend son heure ». Le retrait partiel des forces américaines du Nord syrien, en octobre, a montré la fragilité des positions des Forces démocratiques syriennes. Cette milice à forte composante kurde a prêté main-forte aux Occidentaux contre l’Etat islamique. Elle a capturé la plupart des djihadistes emprisonnés. Mais compter sur elle pour les maintenir en détention pendant des années est illusoire. La France invoque la nécessité de les juger dans le pays où ils ont commis des exactions. Ce principe a guidé en février 2019 la livraison de 13 Français à l’Irak. Ils y ont été condamnés à la peine de mort, au grand embarras de l’Elysée puisque Emmanuel Macron plaide pour une abolition mondiale. Bagdad ne veut plus jouer ce rôle ingrat.
Les autres solutions sont impraticables. L’élimination physique des djihadistes européens ? Plusieurs ont été abattus par des forces spéciales en situation de combat. Mais, dès lors qu’ils sont prisonniers, les tuer serait un crime de guerre. Les déchoir de leur nationalité ? Mais alors, comment les garder sous contrôle et empêcher qu’ils viennent se venger ? Les faire juger par les tribunaux internationaux ? L’Irak comme la Syrie ne sont pas Etats-parties à la Cour pénale internationale. Et l’idée d’un « mécanisme judiciaire international » installé en Irak qui les jugerait sans appliquer la peine capitale ressemble plus à un moyen de tergiverser qu’à une vraie recherche de solution.
Il est essentiel que la justice passe, même si le procès de ces terroristes en France serait un casse-tête juridique. La force d’un Etat de droit est de juger au cas par cas, de façon impartiale, ses ressortissants, même lorsque les crimes ont été perpétrés à l’étranger. Dans ce dossier, la France n’a que de mauvaises options, mais la moins périlleuse d’entre elles est le rapatriement
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Il est essentiel que la justice passe, même si le procès de ces terroristes serait un casse-tête juridique.