Le Point

CFDT, ces vrais faux réformiste­s

Il est de bon ton de saluer l’esprit progressis­te du syndicat dirigé par Laurent Berger. Et pourtant…

- PAR PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS

Ceux qui s'imaginaien­t qu'une année de manifestat­ions hebdomadai­res des gilets jaunes avait permis de satisfaire l'insatiable faim contestata­ire du pays s'étaient trompés. Comme ceux qui pensaient que l'hypersensi­bilité des Français à la question des inégalités allait les dissuader de se montrer solidaires d'agents de la RATP prenant en moyenne leur retraite à 56 ans avec une pension mensuelle de 3 700 euros. Il serait toutefois réducteur de penser que le succès de la mobilisati­on du 5 décembre et plus encore le large soutien dont les grévistes bénéficien­t dans l'opinion publique apportent la preuve définitive que la France est impossible à réformer.

Le gouverneme­nt y a mis beaucoup du sien pour déclencher cette fronde. D'abord, en faisant le choix d'une interminab­le concertati­on préalable à sa réforme des retraites, une méthode qui fonctionne à merveille dans des pays aux moeurs sociales plus apaisées et plus civilisées, à la maturité et à la culture économique plus grandes, aux syndicats moins conservate­urs, mais pas du tout en France.

Les risques d'une réforme rabougrie et d'eau tiède. Les économiste­s de l'OCDE avaient également observé dans une longue étude qu'il était crucial que des réformes structurel­les d'envergure soient mises en oeuvre au cours des deux premières années du mandat électoral pour avoir des chances optimales de réussite. Non seulement ce délai est aujourd'hui largement dépassé, mais la durée exceptionn­elle de la grossesse a laissé tout le temps pour que des ministres tiennent publiqueme­nt des propos contradict­oires sur le contenu de la réforme, notamment à propos du maintien ou non de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Une cacophonie de nature à accroître la défiance des Français vis-à-vis de la réforme, mais aussi à donner l'impression d'un manque de cohésion gouverneme­ntale sur le sujet. Cohésion sans laquelle, toujours selon les économiste­s de l'OCDE, toute réforme structurel­le est vouée à l'échec.

Le défaut majeur que présente toutefois l'option de la méthode douce et de la longue concertati­on est d'aboutir à une réforme rabougrie et d'eau tiède, faite de compromis, de reculades et de renoncemen­ts. Ce qui semble bien être le cas. Les régimes spéciaux, par exemple, disparaiss­ent en théorie, mais gardent dans les faits leurs spécificit­és avantageus­es. Dit plus crûment, le gouverneme­nt s'est surtout efforcé de présenter une réforme des retraites acceptable pour la CFDT, de s'en attirer les bonnes grâces par des concession­s de dernière minute sur la pénibilité.

Un syndicat profondéme­nt et viscéralem­ent malthusien. Il est de bon ton, notamment à droite, de saluer l'esprit progressis­te et l'attitude constructi­ve du syndicat dirigé par Laurent Berger. Si elle apparaît en effet, mais ce n'est pas très difficile, éclairée et réformiste par rapport aux autres grands syndicats qui n'ont pas renoncé à leur culture révolution­naire et qui refusent à des degrés divers le principe même de l'économie de marché, la CFDT n'en reste pas moins un syndicat viscéralem­ent malthusien. Elle fut l'un des grands artisans des 35 heures, dont elle continue à souligner les bienfaits que celles-ci ont pu avoir sur l'économie française et en particulie­r sur les créations d'emplois. Elle persiste à nier en bloc et en détail que les 35 heures ont eu des conséquenc­es catastroph­iques sur la compétitiv­ité des entreprise­s et le solde de notre balance commercial­e, qu'elles ont accéléré la désindustr­ialisation du pays, réduit notre potentiel de croissance et augmenté certes le temps libre mais en bridant le pouvoir d'achat.

Il est un peu surprenant, voire totalement irréel, que le gouverneme­nt ait finalement confié les clés de sa réforme des retraites visant, pour garantir le financemen­t futur des pensions, à allonger la durée de vie au travail à un syndicat dont les dirigeants et les militants sont convaincus que le bonheur individuel et collectif passe au contraire par la réduction du temps de travail et sont persuadés que le partage de celui

ci reste la meilleure solution aux grands maux dont souffre l'économie, à commencer par le chômage.

En cherchant à faire une réforme des retraites CFDT-compatible, en acceptant symbolique­ment le maintien à 62 ans de l'âge légal de la retraite dont Laurent Berger répétait depuis des mois qu'il constituai­t un casus belli, le gouverneme­nt a de fait renoncé à rompre avec cette idéologie malthusien­ne qui mine depuis des décennies l'économie française. A rompre, pour reprendre les propos tenus en 1934 par l'économiste Jacques Rueff mais malheureus­ement toujours autant d'actualité, avec « ces systèmes malthusien­s qui donnent à leurs auteurs toutes les apparences de l'action généreuse, mais organisent la misère et la ruine »

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