CFDT, ces vrais faux réformistes
Il est de bon ton de saluer l’esprit progressiste du syndicat dirigé par Laurent Berger. Et pourtant…
Ceux qui s'imaginaient qu'une année de manifestations hebdomadaires des gilets jaunes avait permis de satisfaire l'insatiable faim contestataire du pays s'étaient trompés. Comme ceux qui pensaient que l'hypersensibilité des Français à la question des inégalités allait les dissuader de se montrer solidaires d'agents de la RATP prenant en moyenne leur retraite à 56 ans avec une pension mensuelle de 3 700 euros. Il serait toutefois réducteur de penser que le succès de la mobilisation du 5 décembre et plus encore le large soutien dont les grévistes bénéficient dans l'opinion publique apportent la preuve définitive que la France est impossible à réformer.
Le gouvernement y a mis beaucoup du sien pour déclencher cette fronde. D'abord, en faisant le choix d'une interminable concertation préalable à sa réforme des retraites, une méthode qui fonctionne à merveille dans des pays aux moeurs sociales plus apaisées et plus civilisées, à la maturité et à la culture économique plus grandes, aux syndicats moins conservateurs, mais pas du tout en France.
Les risques d'une réforme rabougrie et d'eau tiède. Les économistes de l'OCDE avaient également observé dans une longue étude qu'il était crucial que des réformes structurelles d'envergure soient mises en oeuvre au cours des deux premières années du mandat électoral pour avoir des chances optimales de réussite. Non seulement ce délai est aujourd'hui largement dépassé, mais la durée exceptionnelle de la grossesse a laissé tout le temps pour que des ministres tiennent publiquement des propos contradictoires sur le contenu de la réforme, notamment à propos du maintien ou non de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Une cacophonie de nature à accroître la défiance des Français vis-à-vis de la réforme, mais aussi à donner l'impression d'un manque de cohésion gouvernementale sur le sujet. Cohésion sans laquelle, toujours selon les économistes de l'OCDE, toute réforme structurelle est vouée à l'échec.
Le défaut majeur que présente toutefois l'option de la méthode douce et de la longue concertation est d'aboutir à une réforme rabougrie et d'eau tiède, faite de compromis, de reculades et de renoncements. Ce qui semble bien être le cas. Les régimes spéciaux, par exemple, disparaissent en théorie, mais gardent dans les faits leurs spécificités avantageuses. Dit plus crûment, le gouvernement s'est surtout efforcé de présenter une réforme des retraites acceptable pour la CFDT, de s'en attirer les bonnes grâces par des concessions de dernière minute sur la pénibilité.
Un syndicat profondément et viscéralement malthusien. Il est de bon ton, notamment à droite, de saluer l'esprit progressiste et l'attitude constructive du syndicat dirigé par Laurent Berger. Si elle apparaît en effet, mais ce n'est pas très difficile, éclairée et réformiste par rapport aux autres grands syndicats qui n'ont pas renoncé à leur culture révolutionnaire et qui refusent à des degrés divers le principe même de l'économie de marché, la CFDT n'en reste pas moins un syndicat viscéralement malthusien. Elle fut l'un des grands artisans des 35 heures, dont elle continue à souligner les bienfaits que celles-ci ont pu avoir sur l'économie française et en particulier sur les créations d'emplois. Elle persiste à nier en bloc et en détail que les 35 heures ont eu des conséquences catastrophiques sur la compétitivité des entreprises et le solde de notre balance commerciale, qu'elles ont accéléré la désindustrialisation du pays, réduit notre potentiel de croissance et augmenté certes le temps libre mais en bridant le pouvoir d'achat.
Il est un peu surprenant, voire totalement irréel, que le gouvernement ait finalement confié les clés de sa réforme des retraites visant, pour garantir le financement futur des pensions, à allonger la durée de vie au travail à un syndicat dont les dirigeants et les militants sont convaincus que le bonheur individuel et collectif passe au contraire par la réduction du temps de travail et sont persuadés que le partage de celui
ci reste la meilleure solution aux grands maux dont souffre l'économie, à commencer par le chômage.
En cherchant à faire une réforme des retraites CFDT-compatible, en acceptant symboliquement le maintien à 62 ans de l'âge légal de la retraite dont Laurent Berger répétait depuis des mois qu'il constituait un casus belli, le gouvernement a de fait renoncé à rompre avec cette idéologie malthusienne qui mine depuis des décennies l'économie française. A rompre, pour reprendre les propos tenus en 1934 par l'économiste Jacques Rueff mais malheureusement toujours autant d'actualité, avec « ces systèmes malthusiens qui donnent à leurs auteurs toutes les apparences de l'action généreuse, mais organisent la misère et la ruine »
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