Le Point

Mais comment font nos voisins ?

Consensus en Allemagne, drame en Italie, les pays de l’UE réforment… avec plus ou moins de bonheur.

- PAR ROMAIN GUBERT, AVEC PASCALE HUGUES (À BERLIN) ET QUENTIN RAVERDY (À ROME)

C’était il y a un peu plus de trente ans, en 1986. Le ministre du Travail allemand du cabinet de Helmut Kohl avait trouvé « le » slogan de campagne de la prochaine élection. Il tenait en six mots : « Une chose est sûre : la retraite ! » Un slogan rassurant pour dire aux Allemands que, même si leur pays vieillissa­it, ils n’avaient pas trop de soucis à se faire. Kohl veillait et protégeait le pouvoir d’achat des retraités. En France, quatre ans plus tôt, François Mitterrand (et les lois Auroux) avait diminué l’âge de la retraite à 60 ans. C’était il y a trentecinq ans, c’était il y a un siècle. Car, partout en Europe, les gouverneme­nts réforment désormais en grand les systèmes de retraite. Parfois en rognant les pensions ; la plupart du temps en allongeant la durée du travail. Tous les pays européens, même ceux qui ont repoussé l’âge de la retraite depuis quelques années (la plupart des pays de l’Union européenne affichent déjà un âge de la retraite à 67 ans), doivent réformer en permanence leur système.

Ce n’est pas une étonnante coïncidenc­e. Alors qu’en France Edouard Philippe tente de défendre sa réforme des retraites, la Banque fédérale d’Allemagne, la Bundesbank, vient de publier une étude sur les retraites en Allemagne. Le diagnostic de ses experts, qui ne badinent pas avec les déficits, tient en quelques mots : pour conserver des pensions décentes, les jeunes Allemands qui entrent dans la vie active aujourd’hui devront travailler jusqu’à 69 ans au minimum. En s’appuyant sur les statistiqu­es démographi­ques et le vieillisse­ment de la population, la Bundesbank estime qu’à partir de 2032 il va falloir commencer à reculer l’âge de la retraite et passer de 67 à 69 ans. Et ce n’est pas fini : selon cette étude, la génération née en 2001 pourrait prendre sa retraite à taux plein en 2070, à l’âge de 69 ans et 4 mois.

Outre-Rhin, la question des retraites est sur la table depuis des années, pour des préoccupat­ions non seulement économique­s, mais surtout sociétales : à partir des années 2020, le gros des troupes des baby-boomeurs arrivera en effet à l’âge de la retraite. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter et le déclin démographi­que n’est pas près de s’inverser. D’autant que, après quelques années où la solution de l’immigratio­n avait été encouragée pour renouveler les génération­s – en tout cas dans le monde du travail –, le sujet est aujourd’hui politiquem­ent explosif. Contrairem­ent à ce qui se passe en France, les leaders politiques n’ont d’ailleurs aucun tabou sur les retraites. Avant les législativ­es de 2017, le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble (CDU), aujourd’hui président du Bundestag, avait évoqué la possibilit­é d’un âge de départ à 70 ans dans les années à venir.

Le débat sur les retraites est beaucoup plus serein qu’en France. Pour une raison simple : en Allemagne, les caisses sont pleines. Grâce à la séquence économique spectacula­ire de la dernière décennie et au quasi plein-emploi, elles sont même en excédent. Les organismes qui versent les pensions ont terminé l’exercice 2018 avec un solde positif de 4 milliards d’euros ! Le trésor des caisses de retraite allemandes dépasse 40 milliards d’euros. Malgré cette situation enviable, les discussion­s sur la

Grundrente, la retraite de base, ■ sont pourtant permanente­s et les Allemands ont déjà réformé en grand leur système à plusieurs reprises. En 2012, il fut décidé que l’âge du départ à la retraite passerait, par étapes, de 65 à 67 ans en 2031. Mais le sujet reste sensible, notamment sur le montant des pensions. En novembre, la coalition CDU-SPD a failli voler en éclats sur le dossier des retraites de base. Les sociaux-démocrates souhaitaie­nt imposer à Angela Merkel un minimum garanti aux Allemands ayant cotisé au moins trente-cinq ans et dont les revenus mensuels sont inférieurs à 1 250 euros pour un célibatair­e, principale­ment des femmes et des habitants de l’ex-Allemagne de l’Est. En menaçant de quitter le gouverneme­nt, ils ont réussi à convaincre les conservate­urs. En moyenne, le coup de pouce devrait être de 70 euros par mois. Pour les plus pauvres, il pourrait être beaucoup plus élevé. Selon le ministère du Travail, une coiffeuse qui a cotisé quarante ans pour un salaire minimum verrait ainsi sa retraite passer de 512 à 960 euros par mois.

En Italie, le sujet de la réforme des retraites est, bien plus qu’en France, un psychodram­e politique depuis une décennie. En 2011, en pleine crise de la zone euro, l’Italie était au bord du gouffre. Le gouverneme­nt technique qui arrive aux affaires et succède à Silvio Berlusconi est alors dirigé par l’économiste et ancien commissair­e européen Mario Monti. Il met en place les mesures d’austérité destinées à sauver l’Italie du naufrage financier : des coupes dans les dépenses publiques, une augmentati­on de la fiscalité et, surtout, une réforme des retraites. L’Italie est l’un des pays qui dépensent le plus en pensions pour ses 16 millions de retraités (ces dépenses représente­nt 16 % du PIB : c’est le deuxième niveau le plus élevé de tous les pays de l’OCDE). La réforme est portée par l’universita­ire turinoise Elsa Fornero, fraîchemen­t nommée ministre du Travail et des Politiques sociales, et acte l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans. Le calcul du montant des pensions repose sur l’ensemble de la carrière et non plus sur les derniers salaires perçus. Enfin, le gel de l’indexation des retraites sur l’inflation est également décidé.

Sacrifice. Au moment de révéler les mesures d’austérité, Elsa Fornero est en larmes. « Nous avons dû… Cela nous a coûté cher, psychologi­quement même, nous avons dû demander un sacr… », expliquet-elle, avant de fondre en larmes pendant de longues minutes. « Sacrifice », complète Mario Monti à ses côtés, la mine sombre et les yeux embués. Car cette réforme brutale a des conséquenc­es immédiates pour de nombreux Italiens. « La réforme Fornero a changé l’âge de départ de manière soudaine, explique Nicola Borri, professeur de finance à l’université Luiss de Rome. Beaucoup de gens qui n’étaient qu’à quelques mois ou années du départ à la retraite se sont retrouvés avec cinq ou six années supplément­aires à faire. Or, juste avant la réforme, à cause de la crise, beaucoup de grosses corporatio­ns italiennes avaient décidé de se séparer de nombreux employés en trouvant des accords avec eux pour permettre un départ anticipé, avec des indemnités. »

Quand la loi Fornero entre en vigueur, nombre d’Italiens se retrouvent sans activité, avec un déclenchem­ent de leur retraite repoussé de plusieurs années et des indemnités insuffisan­tes pour vivre. Ces préretrait­és – on les appelle les esodati – en veulent encore à Elsa Fornero, la mère de cette réforme, qui vit sous protection policière permanente.

Arrivés au pouvoir en 2018, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles se sont attaqués à cette loi Fornero. C’est même le ciment de leur contrat de gouverneme­nt. Votée début 2019, leur réforme permet un départ à la retraite anticipé à 62 ans. L’idée est de libérer 400 000 postes de travail pour des jeunes. La mesure n’est que temporaire, s’appliquant de 2019 à 2021. Elle pourrait coûter plus de 10 milliards d’euros ! Depuis le départ de Matteo Salvini du gouverneme­nt, la nouvelle coalition cherche par tous les moyens à diminuer la « facture » que Matteo Renzi, ancien chef du gouverneme­nt italien, appelle l’« arnaque institutio­nnalisée »

En Allemagne, la génération née en 2001 pourrait prendre sa retraite à taux plein en 2070, à l’âge de 69 ans et 4 mois.

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