Au Teil, la terre n’a pas livré tous ses secrets
Toute proche, la carrière de calcaire est-elle en cause ?
Maisons effondrées, toitures éventrées, murs entaillés par de profondes fissures… Il faut parcourir les rues de la ville du Teil pour mesurer l’étendue des dégâts. C’était le 11 novembre. Un peu avant midi, un séisme d’une magnitude de 5,4 se déclenche sur les hauteurs de la commune ardéchoise. La terre tremble pendant de longues secondes. Depuis, alentour, une petite dizaine de communes, dont Montélimar, sont officiellement reconnues en état de catastrophe naturelle. Mais c’est bien la ville ardéchoise de 9 000 habitants qui a payé le plus lourd tribut. « Cinq quartiers, dont une bonne partie du centre-ville, sont détruits à plus de 80 %, et ils vont devoir faire l’objet d’une reconstruction totale, explique le maire du Teil, Olivier Pévérelli. Les deux églises, dont la plus ancienne date du XIIe siècle, menacent de s’effondrer. » Au moins 1 300 personnes ont dû abandonner leurs logements. Plus de 750 portes sont barrées de papiers blanc et rouge, des arrêtés de péril, qui interdisent tout retour dans des habitations devenues une menace pour leurs résidents.
Pour le sismologue Etienne Bertrand, chercheur au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cérema) de Nice, « on peut maintenant affirmer qu’il s’agit du pire séisme que la France métropolitaine ait connu depuis plus de cinquante ans. Le dernier événement comparable remonte à 1967 dans le village pyrénéen d’Arette ».
Pour les habitants du Teil, le souvenir du tremblement de terre n’est pas près de s’effacer. Tous témoignent encore de leur angoisse. Alors que les verres et les assiettes se fracassent sur le sol de sa maison située sur les hauteurs de la ville, Frédéric Clauzel ne comprend pas ce qu’il se passe. Il se dit : « C’est le stock d’explosifs de la carrière de calcaire Lafarge qui vient de sauter ! » ce site étant situé à moins de 1 kilomètre à vol d’oiseau de son domicile. Un autre habitant, croisé devant sa maison détruite à deux pas du centre, a envisagé un tout autre scénario : « On a immédiate
ment pensé qu’il y avait eu un accident à la centrale nucléaire du Cruas, qui est toute proche. »
Ni accident nucléaire ni explosion : il s’agit bel et bien d’un tremblement de terre, lié à la rupture d’une faille. Mais ces deux réactions, instinctives et rapportées par plusieurs habitants de la commune, illustrent parfaitement les questions soulevées par ce séisme : que sait-on exactement de son origine ? Et quelles seront les conséquences pour la sécurité des centrales nucléaires ?
Sécurité nucléaire. L’une des particularités de la ville du Teil est sa proximité avec deux sites nucléaires : à une douzaine de kilomètres au nord, la centrale de Cruas-Meysse ; à une trentaine de kilomètres au sud, celle du Tricastin. En France, jamais un séisme d’une telle magnitude n’avait encore frappé une centrale de si près. Celle de Cruas, mise partiellement à l’arrêt pendant un mois pour des vérifications, a, depuis, repris du service. « Les deux centrales ont été construites pour résister à un “séisme majoré de sécurité”, un seuil calculé à partir du séisme historiquement reconnu comme le plus fort – celui de 1873 – et dont l’épicentre se situerait exactement sous les réacteurs. Or le séisme du Teil n’a pas dépassé cette norme de sécurité », expliquent Jean-Christophe Gariel et Christophe Clément, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, venus rencontrer les maires des environs. Tous deux soulignent également que ce dernier épisode sismique sera intégré dans les prochaines réévaluations sur la sécurité des centrales de la région. Au point de relever le seuil du « séisme majoré de sécurité » et de lancer des travaux de sécurisation ? « Ce n’est pas exclu », répond Jean-Christophe Gariel. Mais à ce stade, il est trop tôt pour conclure.
Car le séisme n’a pas encore révélé tous ses secrets. Les scientifiques sont intrigués par ces caractéristiques « atypiques » : l’épicentre est particulièrement peu profond (moins de 2 kilomètres) ; le séisme a laissé une entaille visible sur le sol, un peu comme si la croûte terrestre avait craqué telle une coquille d’oeuf ; le nombre de répliques demeure étonnamment faible. « Nous en avons mesuré à peine une dizaine, alors que l’on s’attendrait à avoir des centaines de répliques pour un tel séisme », explique Etienne Bertrand, du Cérema. Les environs de la ville sont désormais bardés de petits appareils d’enregistrement des ondes sismiques pour traquer le moindre indice.
Car, si le mécanisme de la rupture de la faille semble compatible avec la tectonique locale, « l’hypothèse selon laquelle une interaction a pu avoir lieu entre la rupture sismique et une carrière positionnée juste au-dessus de la faille (…) doit être prise en considération », explique dans un communiqué un groupe d’experts de plusieurs instituts, coordonné par le CNRS. Le prélèvement d’une quantité considérable de roche aurait pu réduire la tension tectonique normalement exercée dans la zone et entraîner un réajustement à la surface, d’où le séisme. « S’il y a eu une contribution de la carrière à la rupture de la faille – et ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres –, cela restera extrêmement compliqué à démontrer », prévient Etienne Bertrand.
Dans sa maison fissurée, Frédéric Clauzel a déjà reçu plusieurs visites. Celle de géologues et celle des représentants de la carrière Lafarge. « Les premiers m’ont dit qu’il pouvait vraiment y avoir un lien entre le séisme et la carrière et les seconds … qu’ils n’y étaient pour rien.» Contactée, l’entreprise Lafarge nous précise qu’elle « collabore pleinement avec les scientifiques » et qu’elle « n’a pas connaissance d’événement sismique, dans le monde, ayant eu un lien quelconque avec l’exploitation d’une carrière semblable à celle du Teil ». Non, vraiment, ce séisme n’a pas fini de faire parler de lui
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Etrangement, l’épicentre est particulièrement peu profond : moins de 2 kilomètres.