Le Point

Valère Ier, roi du théâtre

Il est joué dans le monde entier, mais trop peu le connaissen­t. Valère Novarina nous a reçus chez lui, à Paris.

- PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

Valère Novarina. Son nom claque comme un étendard. Signe du destin pour cet auteur joué et traduit dans le monde entier, qui a signé près de quarante ouvrages et mis en scène dix-huit de ses pièces ? Du « Drame de la vie » au « Discours aux animaux », de « L’opérette imaginaire » à « L’acte inconnu », il scandalise et/ou réjouit, depuis plus de trente ans, aussi bien Avignon que la Comédie-Française et les scènes internatio­nales, jusqu’en Haïti.

« Je ne sais pas quel effet ça fait, commente cet immense créateur avec un air d’enfant timide. Mais je m’appelle comme ça. » Sa mère, comédienne, avait choisi ce prénom avant même d’être mariée à l’architecte Maurice Novarina. Elle jouait Molière et décida un soir, dans sa loge, que si elle avait un fils il se prénommera­it Valère, comme l’intendant d’Harpagon.

Valère Novarina, septuagéna­ire, nous reçoit à son domicile parisien. On monte en ascenseur jusqu’à l’antre du dramaturge, écrivain et peintre. Ne dites pas poète ! (Et pourtant…) Il n’aime pas le mot poésie. Ou seulement en allemand, Dichtung, proche de Dichte, densité. Depuis plus de trente ans, Valère Novarina capture un public fasciné, émerveillé, surpris par ce festival du langage ininterrom­pu : « Le langage échappe à tout, c’est un animal non capturé. » Les décors sont des tableaux signés de l’auteur, qui, amoureux de ses acteurs, assiste à presque toutes les représenta­tions – cette saison, ce sont celles de son nouveau spectacle, « L’animal imaginaire », du Théâtre de la Colline au TNP de Villeurban­ne. Le texte est publié pour la première fois sans indication­s théâtrales chez POL, qui accueille toute son oeuvre – après que Christian Bourgois eut accepté, en 1978, d’éditer « ce fou » avec « Le babil des classes dangereuse­s ».

Son père n’osait le lui dire : « Personne ne comprend rien à ce que tu écris », c’est sa mère lui fait passer le message. Il persiste. Sculpte la parole de façon essen

tielle et universell­e. Son oeuvre est fontaine de jouvence, d’inventivit­é et de joie, il y malaxe la condition humaine, en avance sur tous les thèmes du jour, écologie, animalité, identités. Sur scène, il fait défiler les peuples en colère, les « têtus du Sud-Ouest », les « énervés de Firminy », et croque le « grand communicat­eur » ? Parole de fou, parole de sage ?

« Le langage, notre seule arme ». « Un jour, après une lecture à la clinique de La Borde, chez Deleuze et Guattari, raconte-t-il, deux internés, des cas assez sévères, m’ont tapé sur l’épaule : “Vous, c’est pas comme les autres, ce que vous écrivez, c’est la vérité.” » La folie l’a bien menacé à l’adolescenc­e, à Thonon-les-Bains, Haute-Savoie, où il a grandi, écrivant des textes dès l’âge de 11 ans, en secret. Il a planché un an sur Artaud au début des années 1960, quand personne ne s’y intéressai­t. Et qualifiera­it volontiers aujourd’hui son propre travail de « théâtre de la cruauté comique ». Le comique ? « C’est une douche froide, un état de déstabilis­ation qui fait perdre les instrument­s d’analyse, crée du vide dans la pensée », explique ce passionné de Louis de Funès, pour lequel le corps tout entier est engagé dans la parole. Il lui faut « toucher la langue ». La respiratio­n est au coeur de toute son écriture.

Son univers est peuplé de 6 000 noms de personnage­s. Voici Raymond de la Matière, l’Infini Romancier, le Galoupe, la Mère instable, allant et venant d’un opus à l’autre comme actuelleme­nt du « Vivier des noms « à « L’animal imaginaire », qui en est une nouvelle version. Car tout bouge. Tout le temps. Aux murs il affiche ses textes en cours et déplace ici une phrase, ailleurs un passage, raffolant des paperolles, attentif aux dynamiques dans l’espace: « Creuser. Aller plus loin. Les livres démarrent souvent de copeaux tombés de l’établi précédent. » De quoi ça parle ? « Ce dont on ne peut parler, c’est cela qu’il faut dire. » Voilà son credo.

Grandi au bord du lac Léman, transporté au XVe siècle via le franco-provençal des paysans savoyards, il moque, du XXIe siècle, les « pas de souci » et les « du coup » dont le quotidien nous rebat les oreilles : « Je m’étonne que le langage se retire autant des spectacles alors que c’est notre seule arme, fondamenta­le ; or, partout, j’observe un phénomène d’appauvriss­ement, de dessècheme­nt de la langue, qui perd ses couleurs. Ce qui arrive aux arbres d’Amazonie arrive aussi au langage. » Pas au sien, qui remue les méninges en passant par les tripes, dans un souffle vital, revigorant, hilarant et libérateur !

■ « L’animal imaginaire » (POL, 240 p., 16 €).

● Sur scène du 12 au 21 décembre au Théâtre national populaire de Villeurban­ne, puis en janvier 2020 au Théâtre Molière de Sète.

● A lire : « L’organe du langage, c’est la main », dialogue avec Marion Chénetier-Alev (Argol, 29 €).

« J’ai toujours pratiqué la littératur­e non comme un exercice intelligen­t mais comme une cure d’idiotie. »

Valère Novarina, sur la page d’accueil de son site Internet

● Exposition à la chapelle du Quartier-Haut, à Sète, du 11 janvier au 9 février.

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