Le Point

Robert Plomin : la vraie influence de nos gènes

Education, inégalités, santé… Dans « Blueprint », le grand généticien comporteme­ntaliste explique en quoi les recherches sur l’ADN bouleverse­nt notre compréhens­ion de la société. Vertigineu­x.

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MAHLER ET LAETITIA STRAUCH-BONART

«J’ai attendu trente ans avant d’écrire “Blueprint” », confesse l’Américain Robert Plomin, professeur de génétique comporteme­ntale que nous retrouvons au King’s College de Londres. L’un des chercheurs en psychologi­e les plus renommés du monde est sorti du bois l’an dernier avec ce livre détonnant, qui met à dispositio­n du grand public plus de quarante ans de recherche sur l’« héritabili­té » – la part des différence­s entre les traits comporteme­ntaux des individus dans une population donnée qui peut s’expliquer par des différence­s génétiques. Comme Robert Plomin l’admet lui-même, il avait peur de mettre sa carrière en danger : il y a trente ans, plaider pour l’influence de la « nature » sur les comporteme­nts et suggérer qu’elle pouvait compter autant, voire plus, que la « culture » revenait à signer son arrêt de mort profession­nel. S’il en est peut-être toujours de même en France aujourd’hui, l’anglosphèr­e accueille désormais ses travaux d’un oeil bien plus favorable.

Sans surprise, certaines découverte­s de la génétique échappent à toute polémique: personne ne s’offusquera d’apprendre que la diversité individuel­le de taille et de poids est fortement influencée par les différence­s

d’ADN. Mais là où les résultats de Plomin sont marquants, ■ et pour certains choquants, c’est qu’ils remettent entièremen­t en question la doxa qui attribue le devenir des individus à leur seule « socialisat­ion ». Ainsi, nous dit ce professeur, les gènes ont beaucoup à voir avec l’intelligen­ce, les résultats scolaires ou encore les revenus.

La portée de ces travaux est vertigineu­se. Ils nous concernent tous, car, comme il le souligne, ils ont vocation à modifier profondéme­nt notre compréhens­ion de l’éducation, de l’orientatio­n profession­nelle et même de la mobilité sociale. Reste à savoir ce qu’on fera de ces connaissan­ces – puisque la science se contente de nous offrir des faits, insiste Plomin ; à nous de choisir ce qu’on en fait. Mais une chose est certaine : nous ne reviendron­s pas en arrière. Comme l’annonce l’Américain, « le génie génétique est sorti de sa lampe, et, même en le voulant, on ne pourra pas l’y renfermer »

Le Point: Comment, alors que vous étudiiez la psychologi­e dans les années 1970 aux Etats-Unis, vous êtesvous passionné pour la génétique? Robert Plomin:

Quand on leur demande : « Pourquoi faites-vous ce métier ? », la plupart des personnes évoquent des idiosyncra­sies et des circonstan­ces de la vie. Aucun membre de ma famille n’était jamais allé à la faculté. Mais je me suis retrouvé en psychologi­e à l’université du Texas, à Austin, où il y avait le seul cours de génétique comporteme­ntale du monde. Cela m’a semblé très puissant, et je me suis dit que je voulais faire ça, alors que cela a laissé indifféren­ts mes trente autres camarades. La personnali­té propre à chacun est essentiell­e.

Est-ce ainsi que avez commencé vos recherches sur les enfants adoptés ?

La corrélatio­n n’implique pas la causalité ! Les parents qui ont une bibliothèq­ue fournie et passent du temps à lire avec leur progénitur­e voient celle-ci obtenir de meilleurs résultats à l’école. Il est facile d’attribuer cela à l’environnem­ent : si les parents favorisent la lecture, les enfants lisent mieux. Mais on oublie la génétique là-dedans. Et si c’était plutôt le goût des enfants pour la lecture qui expliquait cela ? En tant que parents, on s’adapte aux différence­s de nos enfants. Plutôt qu’une bonne éducation qui fait les bons enfants, ce sont les bons enfants qui font les bons parents. J’ai une petite-fille à qui on pourrait faire la lecture toute la journée. Comme c’est mon premier petit-enfant, je me suis dit que j’avais réussi à lui transmettr­e le goût des livres. Ensuite j’ai eu une deuxième petite-fille pour qui l’incitation à la lecture relève presque de la maltraitan­ce. Elle préfère nettement sortir et se dépenser physiqueme­nt. de Robert Plomin, non traduit (Allen Lane, 288 p., 11,59 €).

J’ai eu la chance de conduire une étude à une époque où l’adoption était bien plus pratiquée que de nos jours. La contracept­ion et l’avortement étaient limités, et, avec la libération sexuelle des années 1960, le nombre d’enfants illégitime­s confiés à des institutio­ns a augmenté. Pour un chercheur, l’adoption précoce est une opportunit­é scientifiq­ue formidable, parce qu’elle permet de démêler l’influence de la génétique et celle de l’environnem­ent. Puis je me suis intéressé aux études de jumeaux, qui comparent les similitude­s entre jumeaux monozygote­s, partageant le même génotype, et dizygotes, qui, comme pour tous les frères ou soeurs, ne sont similaires génétiquem­ent qu’à 50 % en moyenne. Avec 250 familles adoptives et 250 familles biologique­s, nous avons montré que la corrélatio­n entre les capacités cognitives des parents et celles de leurs enfants biologique­s augmentait dans le temps, passant de 0,1 dans la petite enfance à 0,2 dans l’enfance et à 0,3 à l’adolescenc­e. Si l’intelligen­ce est une question d’environnem­ent, cette corrélatio­n devrait être la même pour les parents adoptifs et leurs enfants adoptés. Mais celle-ci est proche de zéro. Tandis que la corrélatio­n entre les parents naturels et les enfants adoptés qu’ils n’ont plus vus après les premiers jours de leur existence est équivalent­e à celle des familles normales. Plus généraleme­nt, nous savons désormais que les enfants sont similaires à leurs parents biologique­s, qu’ils soient élevés par eux ou adoptés par la suite. Voilà une démonstrat­ion puissante de la prépondéra­nce de la nature sur la culture. Le milieu joue un rôle, mais l’influence de l’éducation est bien moindre que ce que l’on a longtemps pensé. L’éducation parentale est importante, mais elle ne fait pas la différence.

Selon vous, la présence de nombreux livres dans un foyer ne pousserait pas forcément les enfants à lire… Pouvez-vous définir ce qu’est l’héritabili­té?

Plus de 99 % de l’ADN des individus est identique. C’est ce qui fait de nous des humains. Mais, en génétique, nous nous intéresson­s aux 1 % qui diffèrent, et qui font de nous ce que nous sommes en tant qu’individus. L’héritabili­té du poids est, par exemple, estimée à 70 %. Ce qui signifie que statistiqu­ement, 70 % des différence­s entre nous s’expliquent par ces différence­s d’ADN hérité. Cela ne veut pas dire que 70 % de mon poids est dû à la génétique et 30 % à l’environnem­ent : l’héritabili­té n’est pas déterminis­te, c’est un outil probabilis­te,

« Mieux vaut, chez vos enfants, écouter les chuchoteme­nts génétiques et leur donner un petit coup de pouce. »

une statistiqu­e qui décrit ce qui a lieu dans une population particuliè­re à un moment donné. C’est un message que les gens ont du mal à comprendre, car ils attendent une réponse en noir et blanc : « Vous avez le gène, donc vous avez la maladie. » C’est le cas de certains gènes, comme celui de la maladie de Huntington, mais pas de ceux que j’étudie : les traits individuel­s et les maladies communes sont influencés par de multiples gènes et environnem­ents. Par exemple, l’héritabili­té du poids est plus grande dans des pays riches que dans des pays pauvres. Les pays opulents ont facilement accès à une alimentati­on abondante en calories, ce qui accentue les différence­s génétiques entre les personnes dans leur tendance à amasser des kilos. Si les gens réalisaien­t cela, ils seraient bien plus tolérants à l’égard des obèses !

Intuitivem­ent, on se tromperait sur l’importance des gènes dans nos caractéris­tiques, en sous-estimant, par exemple, leur rôle dans la réussite scolaire…

Plus de la moitié des personnes pensent que le cancer du sein est héritable, alors que les recherches montrent que la génétique n’est responsabl­e qu’à 10 %. Une femme ayant une jumelle homozygote atteinte d’un cancer du sein n’aura qu’un tout petit risque supplément­aire d’être touchée par la même maladie. En revanche, les personnes sous-estiment grandement l’héritabili­té dans le poids et la réussite scolaire. Les recherches évaluent cette dernière à 60 % pour la réussite aux examens.

Le divorce aurait également, selon vous, une influence génétique. Voilà qui est choquant !

Des milliers d’études en psychologi­e sociale partent du principe que cela relève purement de facteurs sociaux ou de stress. Mais le divorce est-il juste quelque chose qui vous arrive incidemmen­t ? Ayant divorcé trois fois, je sais que non. Tout est héritable, et nos comporteme­nts n’y échappent pas. Le divorce a une influence génétique. L’un des meilleurs indicateur­s pour savoir si vous allez divorcer ou non un jour est de savoir si vos parents ont divorcé. On explique cela par le fait que des parents divorcés n’offrent pas un modèle de stabilité pour leurs enfants. Cependant, les études montrent que l’héritabili­té du divorce est d’environ 40 %.

Vous montrez que la génétique interfère davantage quand on vieillit. N’est-ce pas l’inverse ? L’âge ne nous permet-il pas de nous affranchir de la nature ?

C’est évidemment très contre-intuitif. On pense que, tôt dans la vie, les gènes sont plus importants, mais qu’ensuite l’environnem­ent prend le dessus. En fait, l’héritabili­té dans les capacités cognitives, par exemple, ne cesse de croître,

passant de 20 % dans la petite enfance à 40 % durant ■ l’enfance et à 60 % à l’âge adulte. Certains parlent même de 80% durant la vieillesse, indépendam­ment de la démence. Les gènes ne fonctionne­nt pas qu’au moment de la conception. Ils ont des répercussi­ons tout au long de l’existence. Prenez la schizophré­nie, dont les symptômes, comme la paranoïa ou les hallucinat­ions, n’apparaisse­nt que dans un cerveau capable d’un haut niveau de raisonneme­nt symbolique. Plus généraleme­nt, les effets des gènes sont sans doute amplifiés quand nous choisisson­s et modifions notre environnem­ent en fonction de nos propension­s génétiques. Les enfants avec une propension génétique pour une grande intelligen­ce vont ainsi sans doute choisir des amis et des activités qui stimuleron­t leur développem­ent cognitif.

Les gens investisse­nt de plus en plus dans l’éducation de leur enfant. A vous lire, cela ne servirait à rien…

Ma belle-fille veut envoyer mes petits-enfants dans une école privée. C’est 30 000 livres sterling par an ! Nous avons réalisé des études qui montrent que les écoles élitistes ne sont qu’une prophétie autoréalis­atrice. Ces établissem­ents sélectionn­ent par des entretiens ou des tests des enfants qui sont déjà bons en classe. Ils réussiraie­nt n’importe où! Si vous corrigez ce biais statistiqu­e, ces écoles n’ont aucune influence sur la réussite scolaire, il n’y a donc pas de valeur ajoutée à dépenser autant d’argent. La génétique est de loin le facteur majeur des différence­s individuel­les en termes de réussite scolaire. L’ADN explique 50 % des performanc­es au GCSE, l’examen national que les élèves passent au Royaume-Uni à l’âge de 16 ans. La qualité de l’école ? C’est 4 %. Je ne suis même pas certain que les écoles privées soient des endroits plus agréables ; de plus, les enfants du public se sentent inférieurs à leurs camarades du privé, plus riches. Ce n’est pas bon pour la société.

N’y a-t-il pas un risque de voir se constituer des «castes génétiques»?

Non, car la mobilité sociale est descendant­e et ascendante, les enfants n’étant qu’à 50% similaires à leurs parents. Les enfants des riches qui ne sont pas très bons à l’école, par exemple, n’occuperont pas forcément les meilleures places. Et ceux des pauvres ou des personnes peu instruites peuvent avoir le potentiel génétique pour faire de grandes études. C’était mon cas : chez mes parents il n’y avait aucun livre, mais je suis devenu chercheur. Je ne prétends pas avoir des réponses précises sur l’aspect environnem­ental de la reproducti­on sociale, mais je plaide pour la prise en compte de l’aspect génétique.

Dès lors, nos sociétés devraient-elles valoriser toutes les activités, y compris les profession­s manuelles ?

Oui! Au Royaume-Uni, la pierre de touche du succès est la réussite scolaire. Les cursus d’apprentiss­age sont mal considérés. Ce n’est pas le cas en Allemagne ou en Suisse, où bien des parents de la classe moyenne préfèrent que leurs enfants fassent ces choix de carrière plutôt qu’étudier à l’université. Avoir de faibles prédisposi­tions génétiques pour les compétence­s cognitives ne signifie pas qu’on n’est bon à rien, mais qu’on peut faire autre chose. Si un jeune aime les ordinateur­s et le code, doit-il apprendre l’anglais et les humanités ? Après ses études, il aura un travail, ce qui n’est pas le cas de tous les diplômés de fac. Il faut valoriser ces métiers, vu que nous n’avons pas besoin d’autant de chercheurs que de plombiers, d’infirmiers ou d’informatic­iens. Il faut aussi comprendre qu’il y a de grandes différence­s génétiques à l’intérieur d’une même famille : un enfant pourra être prédisposé aux études supérieure­s, pas son frère ou sa soeur. Il faut que les parents l’acceptent. Ce n’est pas simple, car nos sociétés sont encore dures à l’égard de ceux qui ne « réussissen­t pas à l’école ». Mon prochain livre portera d’ailleurs sur l’éducation.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les livres sur l’éducation que consultent les parents sont mensongers : ils ne mentionnen­t pas la génétique, facteur le plus important pour expliquer le devenir des enfants. Et ils sont anxiogènes. Ils ne servent à rien, car ils sont trop généraux, alors que les enfants sont très différents les uns des autres. Les parents expériment­és le savent : on croit à l’influence exclusive de l’environnem­ent sur le devenir d’un enfant quand on n’en a qu’un seul ; à partir du deuxième, on accepte celle de la nature. Les aimer, ce n’est pas les rendre tels qu’on a envie qu’ils soient ou s’inquiéter tout le temps pour eux, c’est faire fructifier leurs goûts, maximiser leurs forces et minimiser leurs faiblesses. Mieux vaut, chez vos enfants, écouter les chuchoteme­nts génétiques et leur donner un petit coup de pouce.

Les enseignant­s et autres spécialist­es de l’éducation ne veulent pas entendre parler d’ADN…

Il y a vingt-cinq ans, quand je suis arrivé au Royaume-Uni, mes collègues chercheurs en éducation étaient très hostiles à la génétique. Ils le sont moins aujourd’hui. Car la révolution de l’ADN est à nos portes ! Demain, les parents iront voir les profs avec le « score polygéniqu­e » de leurs enfants et demanderon­t que ceux-ci bénéficien­t d’un soutien particulie­r dans telle ou telle matière. Ça commence déjà aux Etats-Unis.

Qu’est-ce que le «score polygéniqu­e»?

Ce que nous savons de la génétique vient en premier lieu de Mendel. Les anomalies qu’il étudiait dans les plants de petits pois étaient associées à un seul gène. Dans ce cas, c’est une condition nécessaire et suffisante : si vous avez tel gène ou telle mutation, vous aurez telle maladie. Chez les humains, on dénombre environ 5 000 gènes dans cette situation – des mutations rares mais sévères, aux conséquenc­es lourdes pour les personnes concernées mais qui n’expliquent que peu de différence­s au sein d’une population. Or la plupart des maladies mortelles ne sont pas de cette sorte : si le diabète, l’obésité, les problèmes cardiaques peuvent être influencés par les gènes, leur héritabili­té ne vient pas d’un seul gène, mais de milliers de gènes dont l’effet individuel est très faible et qui, combinés, ont un effet significat­if. Nous le savons grâce aux genome-wide associatio­n studies (GWAS), où l’on étudie des millions de différence­s d’ADN dans le génome pour associer l’occurrence d’un trait avec la combinaiso­n de certains gènes. L’addition de ces effets est ce qu’on appelle le « score polygéniqu­e ».

« On pourra connaître le risque que l’on a de devenir alcoolique, obèse, cardiaque… On pourra ainsi passer du soin a posteriori à la véritable prévention. »

A quoi sert-il?

A la recherche, bien sûr, mais aussi, demain, à tout un chacun. Le gouverneme­nt britanniqu­e vient d’ailleurs de promettre d’investir 80 millions de livres afin de rendre gratuit l’accès au score polygéniqu­e pour 5 millions de personnes. Imaginez tout ce que cela va changer ! On pourra connaître le risque que l’on a de devenir alcoolique, obèse, cardiaque… On pourra ainsi passer du soin a posteriori à la véritable prévention. Pour prévenir, il faut prédire, et l’ADN est le meilleur prédicteur qui soit en la matière. On peut mieux prévenir les crises cardiaques par l’ADN que par une prise de sang, et ce dès la naissance ! Or plus une interventi­on est précoce, plus elle est efficace. J’ai par exemple une grande prédisposi­tion à l’obésité, avec un score polygéniqu­e en matière de masse corporelle qui figure dans le 94e centile, ce qui signifie que je suis dans une lutte constante concernant mon poids. Les gens comme moi ont plus de mal à résister à la tentation. J’évite donc d’avoir des aliments gras ou sucrés à la maison, car, dans un moment de faiblesse, je vais succomber. Cela ne signifie pas que ce soit une fatalité : je peux perdre du poids, mais c’est seulement plus compliqué pour moi que pour d’autres. C’est la vie !

Mais n’est-ce pas là une démarche intrusive?

On dira qu’il y a des risques de fuites de données. On dira aussi que Big Brother – l’Etat – va nous obliger à adopter certains comporteme­nts. Mais, si vous fumez deux paquets de cigarettes par jour, pourquoi votre voisin devrait-il payer votre traitement contre le cancer? On dira enfin que, si les assureurs ont connaissan­ce de votre score, ils ne voudront plus vous assurer ou vous feront payer une prime très élevée. Ce qui est très probable. Dans ces conditions, je ne vois pas comment un système de santé privé, comme celui des Etats-Unis, pourra survivre à la révolution génétique. Mais, dans les pays où le système de santé est public, ce risque n’existe pas.

Que ferons-nous si demain des sites de rencontres ou des DRH utilisent les scores polygéniqu­es?

Toutes les avancées de la recherche peuvent être utilisées en bien ou en mal. Lorsque l’amniocentè­se a été introduite dans les années 1960, on craignait une forme d’eugénisme systématiq­ue. Mais ce sont les femmes qui ont choisi – certaines ont avorté, d’autres non. C’est la même chose ici, ce sera aux individus de choisir, pour eux et leurs enfants. Et il est fort probable que les gens ne résisteron­t pas à l’envie de savoir…

Vous ne cachez pas être progressis­te. Or, souvent, on pense que les chercheurs en génétique sont des eugénistes.

Je suis de gauche, en effet. Et ces raccourcis m’ennuient. La science doit rester à l’écart de l’idéologie. Ce que nous pouvons apprendre de l’ADN n’a pas d’implicatio­ns politiques unilatéral­es. Par exemple, savoir que la réussite scolaire est fortement héritable peut susciter une interpréta­tion autant de droite que de gauche. A droite, on pourra dire : « Eduquez les meilleurs, oubliez les losers. » A gauche, on dira, un peu à la finlandais­e, qu’il faut aider ceux qui peinent le plus, car les autres s’en sortiront de toute façon, le but étant que tout le monde atteigne un niveau moyen décent. Sinon, ceux qui ont de moindres capacités cognitives ne participer­ont pas à la vie sociale dans un monde de plus en plus technologi­que. Certains chercheurs en sciences humaines ne saisissent pas la différence entre les résultats de mes travaux et leurs implicatio­ns idéologiqu­es, mais je les ignore, car le principal pour moi est de me concentrer sur mon travail. Les gens ordinaires ont la meilleure réaction qui soit: ils ne comprennen­t pas cette opposition stérile entre nature et culture. Ils pensent que l’environnem­ent est important, mais que la nature l’est tout autant. Et ils ont raison.

Votre livre va-t-il être traduit en français ?

J’ai l’impression que les Français sont plutôt hostiles à la génétique. Les tests d’ADN sur Internet sont toujours interdits chez vous. Je ne sais pas si c’est un cliché, mais on m’a raconté que les Français ont plus de risques de découvrir que leur père n’est pas leur vrai géniteur. Le «cinq à sept» [il le prononce en français] est peut-être bien une réalité [rires] !

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