L’inquiétant sacre de l’émotion
Peur, colère… Le registre du sentiment envahit la sphère publique : un ressort du totalitarisme.
Greta Thunberg vient d’être nommée personnalité de l’année 2019 par le magazine Time. Ce choix n’est pas seulement révélateur de l’importance de l’enjeu climatique, il est aussi symptomatique d’une tendance croissante de nos sociétés, qui offrent désormais aux émotions une place de choix dans la vie publique. En effet, le succès de Thunberg vient en grande partie de son usage du registre émotionnel : la jeune fille n’a de cesse de vouloir insuffler la « peur » et de justifier son combat par sa « colère ». Dans un autre domaine, le ressort émotionnel préside aux agissements des étudiants « offensés » qui s’en prennent, sur les campus, aux penseurs et aux idées qu’ils jugent infréquentables. Si les sentiments sous-tendent de plus en plus l’action civique, il est fréquent, inversement, que des événements politiques suscitent des émotions fortes : ainsi de ces Britanniques déclarant souffrir d’« anxiété du Brexit ».
Le sentiment comme cause ou effet politique n’est certes pas chose nouvelle. Gustave Le Bon a souligné le caractère irrationnel des foules, tandis que Guglielmo Ferrero voyait dans la peur l’un des moteurs de la construction du pouvoir. Et il est évident que le totalitarisme n’aurait pu naître et se maintenir sans l’instrumentalisation de puissantes pulsions. Mais, alors qu’hier l’émotion dans les affaires publiques était honteuse ou critiquée, elle est aujourd’hui publiquement valorisée.
François Sureau