Le Point

Deneuve contre Catherine

Quand Kore-eda filme l’icône dans son (presque) propre rôle…

- FLORENCE COLOMBANI

On a d’abord connu ce film, le premier tourné en France par Hirokazu Kore-eda (palme d’or 2018 pour « Une affaire de famille »), sous son titre de travail : « La vérité sur Catherine ». Il s’appelle désormais « La vérité » et sort en salles le 25 décembre, alors que son interprète principale, Catherine Deneuve, se remet d’un accident vasculaire survenu au début de novembre à l’hôpital de Garges-lès-Gonesse, où elle était en tournage. Pour Kore-eda, Deneuve incarne Fabienne, une icône du cinéma français saisie dans un moment complexe de son existence, celui de ses retrouvail­les avec sa fille, jouée par Juliette Binoche. Le maître japonais s’amuse avec nos souvenirs de spectateur, invente à Fabienne une filmograph­ie pleine de parallèles avec celle de Deneuve, par exemple un film qui se passe sous l’Occupation, comme « Le dernier métro », ou ce rôle de sorcière dans une fable pour enfants qui évoque, forcément, le conte « Peau d’âne». Il offre ainsi à la grande comédienne qu’est Deneuve l’occasion de jouer avec les attentes d’un public qui l’accompagne depuis longtemps. On la sait très proche de sa fille Chiara ? La voici distante et perverse avec sa fille de fiction, Lumir. On connaît sa discrétion sur le milieu du cinéma ? La voilà qui balance une réplique bien sentie sur Brigitte Bardot. Dans un écho troublant avec la réalité, le personnage que joue Deneuve fait une chute dans un décor de chambre d’hôpital. Moment vertigineu­x qui saisit le spectateur à la gorge

En salles le 25 décembre.

« Passion selon saint Jean » de Jean-Sébastien Bach, pas moins. Et même plus : il souhaite que cela se fasse à la Chapelle royale de Versailles ! Valentin Tournet n’a pas même auditionné, il a fait simple, mais culotté comme l’Aymerillot de « La légende des siècles », cet étudiant qui offrit à Charlemagn­e de prendre Narbonne quand les chevaliers renâclaien­t. C’est Versailles qu’il voulait ? Il a donc écrit à Laurent Brunner, patron des concerts au château. A été reçu, testé. Et pendant ce temps réunissait sa troupe. Ainsi est née sa Chapelle harmonique.

Tout comme, chez Hugo, « le lendemain, Aymery prit la ville », Valentin a eu sa « Passion » à Versailles, à 20 ans. « Mes parents m’ont immensémen­t aidé, sans me pousser ni me retenir. Tous deux par métier attentifs au développem­ent individuel des enfants et à la musique. » Fils unique, sa ribambelle de cousins et lui se retrouvaie­nt l’été vers Saintes, près de l’abbaye des Dames. « J’y passais mon temps. Philippe Herreweghe [chef de choeur et d’orchestre belge, NDLR] y était patron, la discipline, l’exactitude, le style mêmes. Dans le choeur, j’y ai chanté ma première “Passion selon saint Jean”. A 16 ans, j’ai joué en public des solos de gambe. Je savais ce que je voulais. » Il le sait toujours, et c’est parti très fort : il sort de Versailles (« Les Indes galantes »), dirige à l’Oratoire du Louvre le « Magnificat » de Bach, qu’on retrouve sur son premier CD.

Un Bach sans perruque. Fulgurant ! La verve, la vigueur, l’intensité, l’émotion, un Bach sans perruque et d’abord, contagieus­e, la joie de jouer. Pourtant, rien n’est facile. « C’est un peu rageant de me dire que je ne réussirai peut-être pas à donner en concert un opéra, “Zoroastre” de Rameau, l’été prochain à Beaune : on me paie trois jours de répétition­s, il m’en faut au moins quatre. » On a confiance. Car il pourrait croire, comme beaucoup, qu’il n’y a qu’une façon de faire de la musique: la sienne. Et baigner à vie dans les eaux de Herreweghe, qui lui a tout appris. Bien au contraire. Fait remarquabl­e chez un garçon si affirmé, il est curieux de ce qui se fait ailleurs, de ce qui s’est fait ici même, avant. Pas d’obligation d’aimer, encore moins d’imiter. Mais de connaître. On l’a vu explorer en disque quelques grands anciens, ceux qui interpréta­ient Bach avant l’arrivée du mouvement baroqueux. Il sursaute rien qu’à entendre les instrument­s, mais il persiste, il y a quand même là un patrimoine universel permanent : Kathleen Ferrier, Dinu Lipatti. Et c’est une révélation : la mezza voce, si bien utilisée alors et qui n’existe pratiqueme­nt plus. Va-t-il essayer de la réhabilite­r ? « De toute façon, demain j’aurai à imposer s’il le faut ma façon d’entendre telle phrase, telle sonorité. J’ai besoin d’en affronter d’autres que la mienne. » Du coup, le voilà qui s’embarque pour les Emirats écouter comment ils grattent leurs cordes et y confronter sa gambe. Rien n’est encore vécu à 23 ans. A ceux qui sont nés premiers de la classe tout est école. Valentin est si visiblemen­t bien dans sa peau qu’il fera tomber plus que Narbonne, mieux qu’Aymerillot

■ Programme disponible sur www.chapelleha­rmonique.com.

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Miroir. « La vérité » offre à Catherine Deneuve l’occasion de jouer avec les attentes de son public.

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