La CGT et le « Ziblume » français
La moustache de Laurent Brun, le secrétaire général de la CGT cheminots, a frémi de plaisir lorsqu’il a menacé d’empêcher les Français de prendre le train à Noël. Cette jubilation à faire enrager ses compatriotes ! Surtout les plus petits que soi : ceux qui dépendent du train de 5 h 40 pour aller travailler. Le génial Jacques Audiberti avait donné un nom à ce sadisme : le « Ziblume ». Les Français aiment se faire souffrir mutuellement. « Un sur trois, au moins, est convaincu que le bonheur des deux autres fait son malheur et qu’il ne pourra assurer son bonheur qu’au détriment des autres », a résumé Alain Peyrefitte dans son essai « Le mal français » (1976). Chaque crise sociale en apporte la preuve : notre pays n’a toujours pas l’esprit contractuel. Les partisans de la terre brûlée sont ragaillardis par notre Histoire : on n’obtient rien ici sans protester, menacer… Omnipotent, l’Etat a aggravé certains traits de notre caractère national : « vertige du tout ou rien », « goût pour l’abstraction, qui fige les positions », « mouvements passionnels multipliés par les idées fausses ». Nous sommes à la fois gaulois et romains. Cohabitent en nous l’allergie au commandement et la croyance en l’infaillibilité du sommet. En ce moment, nos deux moitiés s’entre-déchirent. Le citoyen et le pouvoir se regardent en chiens de faïence. L’appareil étatique ne fait pas confiance aux individus. Ces derniers n’ont pas eu « l’occasion d’apprendre que les faits ont aussi leur despotisme et qu’ils ne vont point du même pas que le désir ». Ce « tout, tout de suite » scandé dans les manifestations témoigne de notre éloignement de la réalité. Qui nous en rapprochera ? Pas l’Etat, qui n’est pas reconnu comme un bon pédagogue. « D’où peut venir alors la parole qui convainc ? Qui peut tenir aux Français le langage de la vérité sans qu’ils se recroquevillent ? », se demandait Peyrefitte. La question, vertigineuse, reste posée
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