L’effet secondaire du coronavirus
L’épidémie renforce les collapsologues dans leur conviction que nous vivons une période inédite de cataclysmes. Une fiction.
« La médiatisation extrême des catastrophes depuis cinquante ans accentue leur visibilité. » René Favier, historien
Avec l’épidémie de coronavirus chinois, l’année 2020 commence sous des auspices hautement anxiogènes. Le décompte en direct du nombre croissant de personnes contaminées est de nature à renforcer le sentiment, déjà très répandu, que l’humanité connaît une période inédite de cataclysmes en tout genre, marquée notamment par la multiplication des catastrophes naturelles : ouragans, éruptions volcaniques, séismes, tsunamis, incendies, sécheresses et inondations. Avec, bien sûr, en toile de fond, la catastrophe ultime du réchauffement climatique.
Sans aller jusqu’à faire office de tranquillisant, le passionnant numéro spécial que le magazine L’Histoire vient de consacrer à « 5 000 ans de catastrophes, du Déluge aux collapsologues » a tout de même comme premier mérite de rappeler que les catastrophes naturelles ne constituent pas un phénomène récent, même si la plupart d’entre elles ont sombré dans l’oubli. Comme le tremblement de terre de Shaanxi, qui se produisit en Chine en 1556 et fit environ 800 000 victimes pour une population évaluée à 125 millions d’habitants. Ou encore la gigantesque éruption volinconditionnel. canique du Tambora, en Indonésie, qui, en avril 1815, projeta des colonnes de gaz et de cendres à quelque 43 kilomètres d’altitude, causa directement la mort d’environ 90 000 personnes et fut à l’origine, les années suivantes, d’un refroidissement climatique planétaire entraînant un peu partout, jusqu’en Europe, de terribles crises alimentaires. Dans cet inventaire macabre, on peut aussi citer les 350 000 morts provoqués en 1737 par le passage d’un cyclone au sud de Calcutta. Même s’il fut nettement moins meurtrier, le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 est davantage resté dans la mémoire collective, en raison du retentissement médiatique qu’il eut grâce à Voltaire.
Comme l’explique René Favier, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Grenoble, c’est son degré de médiatisation qui rend une catastrophe mémorable, plus que le nombre de victimes. À cet égard, les nouvelles technologies et la mondialisation de l’information ont changé la donne. « La médiatisation extrême des catastrophes depuis cinquante ans accentue leur visibilité et peut laisser penser qu’elles sont plus nombreuses, note René Favier. Cependant, cette extrême médiatisation peut avoir des effets inverses. Une catastrophe chasse l’autre : le souvenir du tsunami de décembre 2004 s’estompe au profit du cyclone Katrina, qu’on va oublier avec le prochain. »
L’historien observe aussi que le niveau de vie élevé des populations des pays riches rend celles-ci plus vulnérables et plus sensibles aux catastrophes naturelles. Elles les acceptent moins, car elles ont matériellement et financièrement plus à perdre – par exemple lors d’une inondation – qu’auparavant, quand elles ne possédaient rien. Résultat, « un événement autrefois ordinaire est facilement aujourd’hui considéré comme catastrophique. Il neige à Paris au mois de janvier, il fait chaud en été, et c’est la catastrophe. Face aux événements majeurs, les populations attendent davantage de protection des États ».
Les catastrophes naturelles, qui sont aussi des « miroirs de nos sociétés », se sont au fil du temps « laïcisées ». Longtemps les populations y virent le signe de la colère divine punissant des péchés collectifs : le libertinage de ses habitants fut tenu pour responsable du tremblement de terre qui détruisit Naples en 1456. En revanche, les citoyens vivent actuellement dans l’illusion trompeuse que les pouvoirs publics et les experts scientifiques sont en mesure de garantir un risque zéro contre les accidents de la nature.
Une constante apparaît toutefois à travers les âges et l’histoire des catastrophes naturelles : le lien très fort que celles-ci ont toujours entretenu avec la notion d’effondrement des civilisations, comme en témoignent l’Épopée de Gilgamesh, rédigée en Mésopotamie vers 1800 ans avant J.-C., l’engloutissement de l’Atlantide évoqué par Platon ou encore les écrits alarmistes, au XVIIIe siècle, du naturaliste Buffon et de l’écrivain Bernardin de Saint-Pierre. Quant aux collapsologues qui, à l’image de l’ancien ministre Yves Cochet, prédisent aujourd’hui la fin toute proche de la « civilisation thermo-industrielle », ils ne se montrent au fond guère inventifs en copiant le modèle archétypal de la catastrophe écologique que constitue le Déluge de la Bible
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