Quand l’automobile pilotait le style
À l’occasion de Rétromobile, pleins phares sur la révolution de l’aérodynamique.
C’est un visage de femme, tendu en avant. La chevelure est semblable à une aile déployée. On imagine l’effet de souffle, le vent. La sculpture évoque la vitesse, la pénétration dans l’air. Ce profil en cristal est un bouchon de radiateur signé René Lalique. Les Années folles qui, à l’aube du XXe siècle, voient débouler l’automobile, mais aussi le train, les paquebots transatlantiques et l’aviation, inspirent le maître verrier. Entre 1925 et 1931, il crée une trentaine de figurines destinées à personnaliser les calandres chromées de luxueuses voitures. Celle-ci est baptisée « Victoire ». À elle seule, elle symbolise une nouvelle conquête de l’homme sur le temps, une invention qui devient la coqueluche des expositions universelles de l’époque. Lalique, comme bien d’autres créateurs, a accompagné cette innovation des Temps modernes qui, à l’aube du nouveau millénaire, va entraîner l’accélération des processus de fabrication, l’apparition de nouveaux matériaux et techniques, modifier les méthodes de travail et les modes de vie et amener un renouveau dans la création artistique.
« L’automobile n’a que 130 ans, mais à une époque de surproduction et de surconsommation, elle reste un cas d’étude unique sur le pouvoir qu’a le design de changer la course du monde », indiquent Brendan Cormier et Elizabeth Bisley, commissaires de l’exposition « Cars : Accelerating the Modern World », au Victoria et Albert Museum de Londres. La « Victoire » de Lalique figure dans l’une des vitrines, parmi 250 objets-balises permettant de saisir l’impact de la voiture sur notre civilisation et la manière dont cette aventure industrielle a généré un nouvel art de vivre. Avec la mise en route des premières chaînes de production en série, les designers planchent sur la rationalisation de l’espace et des gestes, sur la simplification des formes. Le phénomène touche à l’habitacle des véhicules avant de gagner l’habitat. La fonctionnalité des outils s’étend aux objets du quotidien, à l’univers domestique. Le design, comme esthétique industrielle adaptée à la
fonction, repense le mobilier des cuisines. La recherche sur les matériaux et la production d’acier et d’aluminium favorise de nouvelles lignes pour la voiture comme pour l’électroménager.
Outre-Atlantique, de l’idée de la vitesse découle le courant Streamline, l’esthétique industrielle de l’aérodynamique. Dans sa roue, tout devient design. « Rien n’est gratuit, seule la fonction crée la forme », pourrait être la définition même du design. Mais, en 1934, c’est le slogan de lancement de la Tatra 77, la première grande limousine aérodynamique, par la marque tchèque Tatra, présente à Rétromobile. Une automobile d’autant plus innovante que son allure est conditionnée par le moteur placé à l’arrière du véhicule. Une astuce qui inspirera plus tard les marques Porsche et Volkswagen. C’est l’époque où Raymond Loewy, maître du design contemporain, crée dans un même élan des locomotives et des paquebots, des machines à laver et des ventilateurs, des téléphones et des postes de radio. L’acier inoxydable, le verre, la Bakélite – premier plastique de l’histoire – naissent avec la construction automobile et irriguent les objets du quotidien, du téléphone au poste de radio en passant par les stylos ou le mixeur KitchenAid modèle K, en aluminium et acier inoxydable, dessiné par
Raymond Loewy crée dans un même élan des locomotives, des paquebots, des postes de radio…
Egmont Arens et presque inchangé depuis sa mise sur le marché en 1937.
La mode a elle aussi, dès la naissance de l’automobile à moteur, forcé l’allure pour habiller une clientèle grisée par la vitesse. Très tôt, Jeanne Paquin, Paul Poiret, Madeleine Vionnet, Worth, Gabrielle Chanel imaginent des « manteaux d’auto », des tenues de voyage confortables qui laissent les mouvements libres. Le chapeau cloche bien emboîtant permet, la capote rabattue, de rouler stylée et protégée. Vitesse et glamour vont de pair. Des combinaisons de cuir, des gants de conduite coupés, des lunettes de soleil complètent la panoplie des pilotes. Hermès commence par habiller de cuir sellier des intérieurs de berlines avant de proposer des bagages, des paniers à pique-nique et des carrés de soie à nouer avec élégance. Les premières et confortables combinaisons de conduite en tissu ou en cuir, comme celles exposées au V&A, ne sont pas sans évoquer les créations contemporaines des Mugler, Montana ou Courrèges.
Plus récemment, les collections masculines de Salvatore Ferragamo ou de Dunhill se sont emparées de l’esthétique automobile, la marque britannique intitulant même son dernier opus « Automotive ». Rien de littéral, Mark Weston, son directeur artistique, s’inspirant pour sa palette des « peintures métallisées et intérieurs cuir des voitures anglaises ». De son côté, la marque italienne Tod’s a elle aussi lié son image à la voiture grâce à son iconique mocassin aux 130 picots de gomme. Imaginé dans les années 1970 par Diego Della Valle pour une bonne adhérence aux pédales des sportives transalpines, ce « car shoe », nommé « Gommino » en Italie, est devenu le modèle phare de la griffe, à qui Ferrari vient de confier la réalisation d’une ligne exclusive de bagages et de mocassins. Qui dit mieux ?
■