Le Point

Ce grand coronavira­ge qui va tout changer

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

« La vie, disait un humoriste américain, c’est ce qui nous arrive quand nous avions prévu autre chose.» Le coronaviru­s est en train de tout changer. Les plans, les principes, les idéologies.

Surréalist­es furent les soirées électorale­s sur les chaînes de télévision, dimanche soir : le coronaviru­s semblait occuper davantage les esprits que les scores municipaux, qu’une abstention massive rendait difficiles à commenter.

La France a-t-elle péché par excès d’optimisme ? Dans La Peste, Albert Camus rappelle que, nous autres humains, nous avons tendance à penser qu’un fléau est « irréel », que « c’est un mauvais rêve qui va passer ». Mais « il ne passe pas toujours », et ce sont alors « les hommes qui passent ».

Face à une pandémie, il y a souvent du déni dans l’air. Dans sa nouvelle Sept Étages, adaptée par Albert Camus pour le théâtre (1), le grand écrivain italien Dino Buzzati raconte l’histoire d’un certain Giuseppe, hospitalis­é dans un sanatorium pour une maladie bénigne et une fièvre légère. Il est d’abord affecté au septième étage, celui des patients qui ne présentent aucun danger. Au fur et à mesure que l’on descend, les cas deviennent de plus en plus graves. Au premier, ils sont désespérés.

Pour toutes sortes de raisons, parfois plus mauvaises que bonnes, Giuseppe, gagné par l’eczéma puis par des frissons de fièvre, finira par descendre d’un étage l’autre, jusqu’à se retrouver au premier, celui des moribonds, au milieu des râles d’agonie.

Écrit d’une plume légère, presque désinvolte, Sept Étages, qui peut être interprété de plusieurs façons, apparaît avant tout comme un apologue de notre espèce devant la maladie. Ne refusons-nous pas, comme le héros de Buzzati, de comprendre ce qui nous arrive ?

C’est humain: parce que nous pensons toujours, parfois même sur notre lit de mort, que nous allons nous en sortir, nous avons sous-estimé le fléau qui traverse aujourd’hui l’Europe après avoir frappé la Chine, la Corée du Sud, l’Iran.

On est même en droit de se demander, aujourd’hui, si la riposte des pouvoirs publics n’avait pas, en France, deux semaines de retard : ainsi les élections municipale­s auraient-elles dû être reportées quand la question s’est posée, l’autre jeudi. À l’image des autres pays, nous avons commencé par subir l’épreuve au lieu de chercher à la dominer.

Les démocratie­s sont-elles mieux placées pour résoudre les crises sanitaires? Nos modèles en ont pris un coup, mais force est de constater que nous nous adaptons vite. Chacun pour soi, Dieu pour tous. Il y a quelque chose de comique à observer l’Allemagne, considérée jusqu’à présent comme la meilleure élève de l’Union européenne, fermer ses frontières avec la France en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Face au virus, il n’y a plus de règles communauta­ires qui tiennent. Notre Vieux Continent « s’orbanise », enfourchan­t le dada du Premier ministre hongrois, le grand prophète du confinemen­t, tant décrié il n’y a pas si longtemps.

Au diable, le dogme des frontières ouvertes ! Il n’a plus lieu d’être. Même chose pour les critères de Maastricht, qui édictaient que le déficit public annuel d’un pays membre de l’Union ne devait pas excéder 3 % du produit intérieur brut ni la dette de l’État dépasser 60 % du même PIB ! Quitte à vider ses caisses, la France doit parer au plus pressé et sauver tous ceux qu’elle peut sauver. Comme toujours en temps de crise, les théories de John Maynard Keynes, le pape de la relance, sont de retour. Elles ne sont pas récusables. Le soi-disant « ultralibér­al » Ronald Reagan n’en avait-il pas croqué aussi ?

Même si tout ce qu’on sait, comme disait Socrate, c’est qu’on ne sait rien, on peut au moins être sûr d’une chose : après avoir pris conscience de notre petitesse dans le cosmos, nous sortirons grandis de l’épreuve du coronaviru­s. Surtout si nous avons profité de l’occasion pour lire. Quand tout va mal, rien ne vaut quelques lichées de philosophi­e : ça fait du bien. Du Nietzsche, par exemple, avec un sourire en coin :

« Ce qui ne tue pas me rend plus fort. »

« Il n’est jamais trop tôt, il est toujours trop tard. »

« La liberté, c’est de savoir danser avec ses chaînes. » « Les conviction­s sont des ennemis de la vérité bien plus dangereux que les mensonges. »

« Souffrir de la solitude est mauvais signe ; je n’ai jamais souffert que de la multitude. »

Bon confinemen­t !

1. Un cas intéressan­t, par Albert Camus (Folio Théâtre).

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