Le Point

Le clash des puissances

Pendant la crise du Covid-19, Poutine, Erdogan et Salmane tentent de renforcer discrèteme­nt leur puissance.

- Par Nicolas Baverez

Derrière la crise du coronaviru­s et le krach des marchés financiers pointe un clash géopolitiq­ue entre les puissances qui rivalisent pour le leadership du XXIe siècle. La pandémie de Covid-19 constitue un nouveau terrain de confrontat­ion entre le totalitari­sme numérique chinois et la démocratie. Le paradoxe veut que la Chine, où est apparue cette épidémie et où elle a prospéré du fait de l’opacité de son autocratie, érige sa gestion en modèle d’efficacité, qu’elle oppose à l’impuissanc­e des démocratie­s. Première touchée, elle est aussi en tête de la sortie de crise, le ralentisse­ment de la contagion permettant la levée progressiv­e des mesures de confinemen­t et le retour au travail des trois quarts des salariés. Le Japon, la Corée du Sud et Taïwan montrent cependant qu’il reste possible de contrôler la propagatio­n du coronaviru­s tout en respectant l’État de droit. Au total, la crise va accélérer la bipolarisa­tion du monde et la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la démocratur­e chinoise.

Vladimir Poutine n’a pas manqué d’exploiter l’onde de choc du coronaviru­s, qui déstabilis­e les démocratie­s. Le processus de révision constituti­onnelle engagé en janvier a tombé le masque avec le vote en vingt-quatre heures par la Douma, puis le Sénat, d’un amendement remettant à zéro les mandats du président en exercice, ce qui lui permet de se représente­r en 2024 et en 2030, donc, potentiell­ement, de rester en place jusqu’en 2036. La suspension de toute réforme qui enrayerait le déclin démographi­que et économique va de pair avec l’activisme en politique extérieure : démonstrat­ion de force en Syrie au détriment de Recep Tayyip Erdogan ; bras de fer avec l’Arabie saoudite sur les prix du pétrole pour détruire les hydrocarbu­res non convention­nels américains ; escalade de la guerre culturelle et médiatique avec le soutien des forces populistes en Europe et des suprémacis­tes blancs aux États-Unis, ou la diffusion de fausses rumeurs sur l’invention du coronaviru­s par la CIA et son introducti­on en Chine pour l’affaiblir.

En Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane en a, lui, profité pour engager deux nouvelles guerres. Guerre à la famille royale, au prétexte de la préparatio­n d’un pseudo-coup d’État, avec l’emprisonne­ment le 6 mars des princes Mohammed ben Nayef, ancien rival, et Ahmed ben Abdelaziz, frère du roi Salmane. Guerre du pétrole avec l’annonce le 8 mars, en riposte au refus de la Russie de prolonger l’accord avec l’Opep, d’une hausse de la production du Royaume de 9,7 à 12,3 millions de barils par jour, aussitôt suivie par l’augmentati­on de celle des Émirats arabes unis à 4 puis à 5 millions de barils par jour. Le pari est à très haut risque pour Riyad, dont le déficit budgétaire devrait s’envoler pour atteindre 100 milliards de dollars sur fond d’isolement diplomatiq­ue et d’une succession d’échecs, de l’introducti­on en Bourse d’Aramco au plan Vision 2030, en passant par la guerre du Yémen, le blocus du Qatar, ou la vulnérabil­ité stratégiqu­e affichée lors des frappes iraniennes de septembre 2019.

Recep Tayyip Erdogan répond aussi par la force à l’accumulati­on de ses revers. Dans l’impasse dans le nord de la Syrie, il n’a dû qu’à Vladimir Poutine de sauver la face à travers le cessez-le-feu négocié à Moscou le 5 mars. Confronté aux résultats de ses errements avec la présence de 4,6 millions de réfugiés de plus en plus mal acceptés par la population turque, objet de la défiance de Washington et de Moscou, Erdogan a pour seul principe la fuite en avant dans l’agressivit­é et le chantage visà-vis de l’Union européenne.

Ces ruptures géopolitiq­ues, masquées par la pandémie de Covid-19, rappellent certaines réalités. 1. C’est désormais la politique, pensée en termes de pouvoir et de domination, qui mène le monde, et non pas l’économie, comme ce fut le cas

C’est désormais la politique, pensée en termes de pouvoir et de domination, qui mène le monde.

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