Le Point

Les Ehpad contre le CAC 40

À quelque chose malheur est bon. Face au Covid-19, les autorités ont choisi de sacrifier la croissance plutôt que les personnes âgées.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

P our lutter contre la propagatio­n du Covid-19, la Banque centrale chinoise a annoncé mi-février la mise en quarantain­e des billets de banque usagés, retirés de la circulatio­n une à deux semaines pour être désinfecté­s à haute températur­e avant d'être réintrodui­ts dans les distribute­urs automatiqu­es. Une mesure monétaire inédite extrême qui trouve sa justificat­ion dans une inquiétant­e expérience menée en 2007 par des chercheurs en virologie des hôpitaux universita­ires de Genève révélant que des virus de grippe extraits de sécrétions nasales déposés sur des coupures de 50 francs suisses y survivaien­t jusqu’à cent vingt heures. De quoi inciter les boulangère­s à user et abuser du gel hydroalcoo­lique et faire réfléchir les dealers accros au cash.

Les amateurs de symboles verront, eux, dans cette étude celui du pouvoir contaminan­t du Covid-19 sur le système financier, avec des marchés boursiers en détresse respiratoi­re aiguë que les banques centrales s’efforcent par tous les moyens de réanimer, sans succès pour l’instant. La chute dans laquelle sont entraînés depuis deux semaines le Dow Jones et le CAC 40 donne du crédit à la fameuse théorie du black swan (cygne noir), développée par le statistici­en Nassim Nicholas Taleb, selon laquelle les plus grandes catastroph­es financière­s sont déclenchée­s par des événements en apparence mineurs dont la rareté est telle qu’elle les rend imprévisib­les par les opérateurs de marché.

Une telle destructio­n de richesses a de quoi dérouter les esprits rationnels, qui entendent en outre les spécialist­es des épidémies expliquer que celle du Covid-19 ne devrait pas durer plus de quelques mois. Ce qui permettrai­t à l’économie mondiale de reprendre alors un fonctionne­ment normal et donc en théorie rassurer des investisse­urs prenant leurs décisions en fonction des anticipati­ons du futur. Dans la réaction paniquée des marchés financiers, il faut voir la redécouver­te soudaine de la notion même de risque, dont nombre d’opérateurs avaient oublié jusqu’à l’existence. Par les politiques monétaires très généreuses qu’elles suivent depuis de nombreuses années, les banques centrales portent une lourde part de responsabi­lité dans cette amnésie collective. Elles ont distribué quasi gratuiteme­nt des quantités tellement folles d’argent que celui-ci s’est souvent placé à l’aveuglette, aussi bien dans de petites entreprise­s fragiles que dans de grands groupes prospères, aussi bien dans des obligation­s d’États mal gérés que dans celles d'États bien gérés. À cela s’est ajoutée la conviction, après le sauvetage in extremis de la Grèce, qu’en cas de gros pépin les banques centrales étaient prêtes à tout faire, notamment n’importe quoi, pour éviter une catastroph­e, entretenan­t l’illusion d'une planète financière de laquelle le risque était éradiqué.

La réaction des pouvoirs publics face au Covid-19 rappelle surtout qu’il existe des risques supérieurs aux risques économique­s. De nombreux intellectu­els avaient dénoncé le fait que l’«économique» avait définitive­ment pris le pas sur le «politique ». Les mesures de confinemen­t décidées par les autorités – qui ont pour effet de ralentir l’activité économique – démontrent qu’il n’en est rien. Plutôt que de préserver la production et la consommati­on, les pouvoirs publics ont choisi de tout faire pour sauver les personnes âgées, avec un coût pour la collectivi­té qu’une approche purement économique jugerait bien trop élevé. Bénéfician­t jusqu’à présent du soutien des opinions publiques, les gouverneme­nts ont choisi de sacrifier la croissance plutôt que des vies, de protéger les Ehpad plutôt que le PIB et le CAC 40. C’est une des rares conséquenc­es heureuses de cette épidémie humainemen­t meurtrière et économique­ment assassine que de rétablir une saine hiérarchie des risques et des valeurs

Il faut voir dans la réaction paniquée des marchés la redécouver­te soudaine de la notion même de risque.

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