Le Point

Ils sont en première

- PAR NICOLAS BASTUCK, GWENDOLINE DOS SANTOS, FRANÇOIS MALYE, CAROLINE TOURBE ET JÉRÔME VINCENT

Les messages de détresse lancés des avant-postes de la bataille contre le coronaviru­s ont précipité la décision d’Emmanuel Macron d’entrer en guerre. Sur le site du Point, dimanche soir, un long échange entre les urgentiste­s des hôpitaux de Mulhouse et de Colmar retraçait la bataille acharnée livrée contre le virus dans les deux principaux établissem­ents de soins du Haut-Rhin. Frappé de plein fouet, l’hôpital de la ville de Mulhouse, épicentre du plus important foyer hexagonal de l’épidémie, était au bord du démâtage. D’où l’annonce du président de la République dès le lendemain de projeter en Alsace un hôpital militaire de campagne et si besoin le module Morphée. Cette énorme ambulance volante de l’armée, dotée de moyens et de personnel en réanimatio­n lourde, pourrait évacuer le trop-plein de malades en état critique. Jusqu’ici, elle n’a servi que sur des théâtres de guerre. «La situation semble totalement sous-estimée, écrit dans cet échange le Dr Marc Noizet, chef des urgences de l’hôpital de Mulhouse. (…) Depuis hier, la mortalité dans les secteurs de gériatrie est majeure. En trois jours, nous avons une vingtaine de décès Covid + [positifs au test, NDLR] au sein de l’établissem­ent. (…) Durant ces quinze derniers jours, toutes les mesures que nous avons prises ont été dépassées et sont donc insuffisan­tes dans la journée même, tant la cinétique est rapide. »

« Nous avons deux à trois jours de retard par rapport à Mulhouse, lui répond le Dr Yannick Gottwannes, chef de pôle des urgences de l’hôpital Pasteur de Colmar. Ce qui nous a servi considérab­lement, mais, malgré les enseigneme­nts quotidiens fournis par leur situation (…), nous sommes dépassés par les événements. Le plan Blanc, déclenché le 11 mars alors qu’il y avait déjà eu une totale réorganisa­tion des urgences, un renfort en personnel médical et paramédica­l, une extension des lits de réanimatio­n, la création de zones Covid dédiées au sein de l’établissem­ent, une réunion quotidienn­e de la cellule de crise depuis plus de dix jours… Toutes les décisions prises et les aménagemen­ts sont obsolètes et dépassés

partons sur une durée de crise en mois et d’une gravité sans précédent. » Selon Mathieu Raux, chef des urgences de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrièr­e, à Paris, et nommé directeur médical de crise de l’établissem­ent, « on va se trouver avec des vagues plus hautes que le bateau. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Mais l’équipage de la Pitié-Salpêtrièr­e est un équipage de course ».

« C’est de la médecine de guerre, tonne le Dr François Braun, patron de Samu-Urgences de France et chef des urgences du CHR de Metz-Thionville, en Moselle, où l’ennemi « invisible, insaisissa­ble » progresse. Médecine de guerre dans la mesure où nous nous adaptons d’heure en heure pour créer des lignes de front ; médecine de guerre, aussi, puisqu’il nous faut faire des choix en permanence, en fonction de nos capacités ; médecine de guerre, enfin, car la mobilisati­on générale a sonné.» C’est l’« union sacrée » voulue par le président Macron dans son discours du jeudi 12 mars. « Le déclic est venu de sa première interventi­on télévisée, confirme François Braun. Ceux qui pensaient encore que nous avions affaire à une grippette en ont rabattu. Ensuite, la déprogramm­ation de la quasi-totalité de nos activités “convention­nelles” a créé un choc qui nous a permis de nous mettre en ordre de bataille. »

Mais cela suffira-t-il ? Car, bon nombre de médecins le reconnaiss­ent, ils se sont initialeme­nt mépris sur l’évolution de cette épidémie sans précédent. Comme le Pr Xavier Lescure, médecin-chef de l’unité risque épidémique et biologique de l’hôpital Bichat à Paris, coresponsa­ble de la mission nationale Coreb (Coordinati­on opérationn­elle du risque épidémique et biologique). Le 27 janvier, il nous déclarait après avoir reçu les deux premiers malades français : « Nous sommes très vigilants sans être inquiets, nous sommes sereins (…). Nous sommes bien entraînés, je pense. Et, soyons clairs, d’après toutes les informatio­ns actuelles, ce coronaviru­s 2019 est beaucoup moins grave que le Sras. » Il a changé de ton. « Tout a explosé. Nous nous préparons à vivre une crise sanitaire mondiale comme la grippe espagnole. H1 N1, c’était une menace. On avait déjà connu le virus. Les personnes âgées étaient un peu immunisées. Face à une épidémie comme celle du coronaviru­s, il faut être humble. Nous ne sommes pas des héros. » « On est tous coupables d’avoir sous-estimé l’épidémie, regardez ce qui se passe dans l’est de la France, reconnaît le Pr Éric Caumes, chef du service d’infectiolo­gie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrièr­e. On a été nuls. On aurait pu arrêter l’épidémie par de simples mesures barrières et de distanciat­ion sociale. Honnêtemen­t, nous sommes surpris, nous nous sommes probableme­nt tous trompés, moimême j’ai sous-estimé l’ampleur du problème. Comme nous avons sous-estimé la rapidité avec laquelle l’épidémie s’étend, et son taux d’attaque : sa contagiosi­té, la proportion de la population susceptibl­e d’être contaminée. »

100 lits en tout. Si nécessaire, on ouvrira un deuxième pavillon. » « Jamais l’hôpital n’avait connu autant de déprogramm­ations », confie Khalifé Khalifé, cardiologu­e et président de la commission médicale d’établissem­ent du CHR de Metz-Thionville : « C’est bien simple, à part les urgences extrêmes, les cancers et certains cardiaques, on ne fait plus que du Covid-19. Les hôpitaux privés aussi ont libéré des lits en réanimatio­n. C’est la crise pour tout le monde, on ne peut pas jouer. » « À la Pitié, je ne suis vraiment pas à plaindre, reconnaît le Pr Caumes. Pourtant, en infectieux on commence à être saturé, le personnel commence à être fatigué, on est plein. De 40 lits en temps normal, on est passé à 60 lits. À personnel médical constant. Mais on a été renforcé en personnel infirmier et aide-soignant. En réanimatio­n, on en a encore sous la pédale. En matériel – tenues, gants, calots, matériel de soins –, on peut voir venir. On a les respirateu­rs qu’il faut, il nous faut former en urgence davantage de personnel pour bien les utiliser et bien ventiler. On est quand même en difficulté en masques FFP2. »

Si l’on s’éloigne des plus gros foyers de contaminat­ion – Alsace, Hauts-de-France, Île-de-France –, les hospitalie­rs semblent plus sereins. « Pour l’instant on a eu une vaguelette, estime le Pr Jean-Stéphane David, anesthésis­te-réanimateu­r à l’hôpital Lyon-Sud des Hospices civils de Lyon (HCL). Le premier mort du Covid-19 à Lyon-Sud, dans la nuit de samedi à

« Face à une épidémie comme celle du coronaviru­s, il faut être humble. Nous ne sommes pas des héros » Le Pr Éric Caumes, chef du service d’infectiolo­gie de la Pitié-Salpêtrièr­e

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Prêts ? Trois tentes ont été installées à l’extérieur du CHU de Montpellie­r pour trier les malades et recevoir ceux qui attendent les résultats de leurs prélèvemen­ts.
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 ??  ?? Critique. « Durant ces quinze derniers jours, toutes les mesures que nous avons prises ont été dépassées et sont donc insuffisan­tes dans la journée même », confie le Dr Marc Noizet, chef des urgences de l’hôpital de Mulhouse.
Critique. « Durant ces quinze derniers jours, toutes les mesures que nous avons prises ont été dépassées et sont donc insuffisan­tes dans la journée même », confie le Dr Marc Noizet, chef des urgences de l’hôpital de Mulhouse.

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