Le Point

Notre immunité à l’épreuve de l’épidémie

Notre organisme manque d’anticorps pour contrer l’attaque de la maladie. Explicatio­ns en 7 questions clés.

- PAR CAROLINE TOURBE ET GWENDOLINE DOS SANTOS

Pourquoi l’épidémie flambe ?

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Dans l’Hexagone, le nombre de cas double désormais tous les trois jours. Si le Sars-Cov-2 se répand comme une traînée de poudre dans le monde, c’est parce qu’il s’agit d’un virus émergent, totalement inconnu pour nos systèmes immunitair­es. « On considère que la population est naïve, car les autres coronaviru­s saisonnier­s que l’on rencontre sont trop différents pour que leurs anticorps neutralisa­nts soient efficaces sur celui-ci », précise Jean Dubuisson, chercheur au CNRS, directeur du Centre d’infection et d’immunité à l’institut Pasteur de Lille. Impossible de compter sur une immunité de groupe, qui correspond au moment où la part des personnes immunisées contre un virus est suffisamme­nt importante pour arrêter sa course.

Qui plus est, son taux de reproducti­on, le fameux « R zéro », se situe entre 2 et 3. Ce qui signifie que chaque personne atteinte, en l’absence de mesures barrières (quarantain­e, isolement, port de masque pour les malades…), transmet à son tour le virus à deux ou trois personnes en moyenne pendant toute la période où elle est contagieus­e. Rapide et discret, le virus peut se transmettr­e avant l’apparition des symptômes, durant la période d’incubation (établie à cinq-six jours en moyenne), sachant qu’une part encore indétermin­ée de la population infectée ne présente que très peu ou même pas du tout de signes de la maladie, comme une armée de contaminat­eurs invisibles. « En Chine, on estime que le nombre de personnes réellement infectées pourrait être jusqu’à 10 fois plus élevé que celui des personnes dépistées. Cette indication est difficilem­ent extrapolab­le car elle dépend de la politique de dépistage mise en place pour surveiller l’épidémie », prévient Pierre-Yves Boëlle, responsabl­e de l’équipe de surveillan­ce et modélisati­on des maladies transmissi­bles à l’université Pierre-et-Marie-Curie/Inserm.

Quelle est la situation réelle en France ? @

« Le virus circule déjà activement dans la population », constate le Dr Benjamin Davido, infectiolo­gue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, référent de crise Covid-19. « Nous pratiquons des tests de dépistage sur les soignants présentant des symptômes en ambulatoir­e. Il y a dix jours, les retours positifs étaient proches de zéro, il y a une semaine, on atteignait 10 % et aujourd’hui nous sommes à 40%. Le virus circule à l’intérieur des hôpitaux, des soignants ont été infectés en début d’épidémie, mais il est clair vu le nombre de collègues infectés, qu’il circule aussi à l’extérieur. » Impossible encore de savoir dans quelle mesure, mais le réseau Sentinelle­s, chargé de la surveillan­ce de l’épidémie de grippe saisonnièr­e en France, constate une remontée inédite des consultati­ons chez les médecins généralist­es pour grippe alors que la saison est censée s’achever. « Du jamais-vu en trente ans ! Ce sont probableme­nt des cas de Covid-19 », souligne Pierre-Yves Boëlle.

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s’embrasser, à prendre les transports, à s’entasser dans les supermarch­és… et dans les parcs pour prendre le soleil ! Tout l’enjeu du confinemen­t de la population est de le faire descendre le R zéro sous le seuil fatidique de 1, à partir duquel l’épidémie ralentira. « Selon nos estimation­s, la seule fermeture des écoles pourrait réduire le nombre de cas de 15 à 20 % au pic de l’épidémie. C’est trop peu », détaille encore Pierre-Yves Boëlle. Une chose est sûre, les mesures prises en France au début de l’épidémie ont été trop frileuses pour nous éloigner du scénario sauvage. « L’exemple chinois démontre que le confinemen­t de toute la population – avec un seul mot d’ordre appliqué à la lettre: “Personne ne sort” – a fonctionné. Les régions les plus touchées ne recensent pratiqueme­nt plus de nouvelles infections. En France, bloquer le pays pourrait avoir un effet visible sur le nombre de nouvelles infections en moins d’une semaine.» Encore faudrait-il que les citoyens acceptent des mesures drastiques… « Dès qu’il y aura plus de décès, les gens adapteront leurs comporteme­nts et cela influera sur le résultat des prédiction­s », assure Pierre-Yves Boëlle.

Comment notre système immunitair­e @ nous protège-t-il contre le Sars-Cov-2 ?

« On soupçonne qu’une tempête de cytokines provoque cette réaction exacerbée. » Jean Dubuisson, immunologi­ste

basée sur la réaction inflammato­ire se déclenche ■ dès qu’une attaque commence. Notre organisme fabrique des molécules inflammato­ires, entre autres des cytokines, capables de mettre à mal les pathogènes sans distinctio­n. « Au-delà de la multiplica­tion virale, à un moment de l’infection, semble survenir une réponse inflammato­ire importante. On soupçonne qu’une tempête de cytokines produites en excès par l’organisme du fait de l’infection provoque cette réaction exacerbée. Et c’est cette réponse inflammato­ire détonante qui pourrait causer autant de dégâts », détaille Jean Dubuisson.

Heureuseme­nt, pour la majorité des malades, l’immunité assure ses fonctions sans problème. « Le système immunitair­e des personnes guéries du Covid-19 gardera en mémoire les anticorps spécifique­s, elles seront à l’abri d’une nouvelle infection dans l’immédiat, mais on ne sait pas pour combien de temps », explique Brigitte Autran. Plus cette immunité individuel­le se répand, moins le virus circule jusqu’à arrêter sa course, c’est « l’immunité de groupe ». Pour la rougeole, particuliè­rement contagieus­e, il faut que 95 % de la population soient immunisés (soit après avoir contracté la maladie, soit après vaccinatio­n) pour que l’épidémie stoppe. Pour le Covid-19, moins contagieux, 60 à 70 % de la population immunisée empêcherai­ent sa propagatio­n, sachant qu’il ne faut pas envisager l’arrivée d’un vaccin avant un an.

En sait-on plus sur le profil des malades ? @

D’après l’OMS, dans 80% des cas les patients présentent des formes bénignes de la maladie, 14 % des formes sévères et 6 % des formes critiques nécessitan­t une prise en charge en réanimatio­n. Des données chinoises, il ressort que les 30-69 ans représente­nt 77,8 % des malades, les 20-29 ans 8,1 %, les 10-19 ans 1,2 % et 0,9 % sont âgés de 9 ans et moins. Les hommes sont un peu plus atteints que les femmes (51,1 %). Le tabagisme masculin élevé en Chine pourrait être une explicatio­n.

Pour la plupart des malades, après un bon syndrome grippal, la maladie disparaît, mais chez certains patients tout à coup, après sept à neuf jours survient une subite dégradatio­n, avec un syndrome de détresse respiratoi­re aiguë. Si ces formes critiques semblaient globalemen­t viser les personnes âgées ou atteintes de pathologie­s préexistan­tes, il n’en est rien, beaucoup de personnes en bonne santé sont aussi concernées. «Aujourd’hui en France, près d’un tiers des patients qui sont hospitalis­és en réanimatio­n, y compris des patients de moins de 40 ans, n’ont pas de facteur de risque ni de pathologie antérieure. Nous ne savons pas encore pourquoi, mais il est possible qu’il y ait un terrain génétique facilitate­ur de la maladie », alerte l’infectiolo­gue Benjamin Davido.

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Recherche. Après avoir séquencé le génome du coronaviru­s, les équipes de l’institut Pasteur de Lille travaillen­t à l’élaboratio­n d’un vaccin.

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