Notre immunité à l’épreuve de l’épidémie
Notre organisme manque d’anticorps pour contrer l’attaque de la maladie. Explications en 7 questions clés.
Pourquoi l’épidémie flambe ?
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Dans l’Hexagone, le nombre de cas double désormais tous les trois jours. Si le Sars-Cov-2 se répand comme une traînée de poudre dans le monde, c’est parce qu’il s’agit d’un virus émergent, totalement inconnu pour nos systèmes immunitaires. « On considère que la population est naïve, car les autres coronavirus saisonniers que l’on rencontre sont trop différents pour que leurs anticorps neutralisants soient efficaces sur celui-ci », précise Jean Dubuisson, chercheur au CNRS, directeur du Centre d’infection et d’immunité à l’institut Pasteur de Lille. Impossible de compter sur une immunité de groupe, qui correspond au moment où la part des personnes immunisées contre un virus est suffisamment importante pour arrêter sa course.
Qui plus est, son taux de reproduction, le fameux « R zéro », se situe entre 2 et 3. Ce qui signifie que chaque personne atteinte, en l’absence de mesures barrières (quarantaine, isolement, port de masque pour les malades…), transmet à son tour le virus à deux ou trois personnes en moyenne pendant toute la période où elle est contagieuse. Rapide et discret, le virus peut se transmettre avant l’apparition des symptômes, durant la période d’incubation (établie à cinq-six jours en moyenne), sachant qu’une part encore indéterminée de la population infectée ne présente que très peu ou même pas du tout de signes de la maladie, comme une armée de contaminateurs invisibles. « En Chine, on estime que le nombre de personnes réellement infectées pourrait être jusqu’à 10 fois plus élevé que celui des personnes dépistées. Cette indication est difficilement extrapolable car elle dépend de la politique de dépistage mise en place pour surveiller l’épidémie », prévient Pierre-Yves Boëlle, responsable de l’équipe de surveillance et modélisation des maladies transmissibles à l’université Pierre-et-Marie-Curie/Inserm.
Quelle est la situation réelle en France ? @
« Le virus circule déjà activement dans la population », constate le Dr Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, référent de crise Covid-19. « Nous pratiquons des tests de dépistage sur les soignants présentant des symptômes en ambulatoire. Il y a dix jours, les retours positifs étaient proches de zéro, il y a une semaine, on atteignait 10 % et aujourd’hui nous sommes à 40%. Le virus circule à l’intérieur des hôpitaux, des soignants ont été infectés en début d’épidémie, mais il est clair vu le nombre de collègues infectés, qu’il circule aussi à l’extérieur. » Impossible encore de savoir dans quelle mesure, mais le réseau Sentinelles, chargé de la surveillance de l’épidémie de grippe saisonnière en France, constate une remontée inédite des consultations chez les médecins généralistes pour grippe alors que la saison est censée s’achever. « Du jamais-vu en trente ans ! Ce sont probablement des cas de Covid-19 », souligne Pierre-Yves Boëlle.
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s’embrasser, à prendre les transports, à s’entasser dans les supermarchés… et dans les parcs pour prendre le soleil ! Tout l’enjeu du confinement de la population est de le faire descendre le R zéro sous le seuil fatidique de 1, à partir duquel l’épidémie ralentira. « Selon nos estimations, la seule fermeture des écoles pourrait réduire le nombre de cas de 15 à 20 % au pic de l’épidémie. C’est trop peu », détaille encore Pierre-Yves Boëlle. Une chose est sûre, les mesures prises en France au début de l’épidémie ont été trop frileuses pour nous éloigner du scénario sauvage. « L’exemple chinois démontre que le confinement de toute la population – avec un seul mot d’ordre appliqué à la lettre: “Personne ne sort” – a fonctionné. Les régions les plus touchées ne recensent pratiquement plus de nouvelles infections. En France, bloquer le pays pourrait avoir un effet visible sur le nombre de nouvelles infections en moins d’une semaine.» Encore faudrait-il que les citoyens acceptent des mesures drastiques… « Dès qu’il y aura plus de décès, les gens adapteront leurs comportements et cela influera sur le résultat des prédictions », assure Pierre-Yves Boëlle.
Comment notre système immunitaire @ nous protège-t-il contre le Sars-Cov-2 ?
« On soupçonne qu’une tempête de cytokines provoque cette réaction exacerbée. » Jean Dubuisson, immunologiste
basée sur la réaction inflammatoire se déclenche ■ dès qu’une attaque commence. Notre organisme fabrique des molécules inflammatoires, entre autres des cytokines, capables de mettre à mal les pathogènes sans distinction. « Au-delà de la multiplication virale, à un moment de l’infection, semble survenir une réponse inflammatoire importante. On soupçonne qu’une tempête de cytokines produites en excès par l’organisme du fait de l’infection provoque cette réaction exacerbée. Et c’est cette réponse inflammatoire détonante qui pourrait causer autant de dégâts », détaille Jean Dubuisson.
Heureusement, pour la majorité des malades, l’immunité assure ses fonctions sans problème. « Le système immunitaire des personnes guéries du Covid-19 gardera en mémoire les anticorps spécifiques, elles seront à l’abri d’une nouvelle infection dans l’immédiat, mais on ne sait pas pour combien de temps », explique Brigitte Autran. Plus cette immunité individuelle se répand, moins le virus circule jusqu’à arrêter sa course, c’est « l’immunité de groupe ». Pour la rougeole, particulièrement contagieuse, il faut que 95 % de la population soient immunisés (soit après avoir contracté la maladie, soit après vaccination) pour que l’épidémie stoppe. Pour le Covid-19, moins contagieux, 60 à 70 % de la population immunisée empêcheraient sa propagation, sachant qu’il ne faut pas envisager l’arrivée d’un vaccin avant un an.
En sait-on plus sur le profil des malades ? @
D’après l’OMS, dans 80% des cas les patients présentent des formes bénignes de la maladie, 14 % des formes sévères et 6 % des formes critiques nécessitant une prise en charge en réanimation. Des données chinoises, il ressort que les 30-69 ans représentent 77,8 % des malades, les 20-29 ans 8,1 %, les 10-19 ans 1,2 % et 0,9 % sont âgés de 9 ans et moins. Les hommes sont un peu plus atteints que les femmes (51,1 %). Le tabagisme masculin élevé en Chine pourrait être une explication.
Pour la plupart des malades, après un bon syndrome grippal, la maladie disparaît, mais chez certains patients tout à coup, après sept à neuf jours survient une subite dégradation, avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Si ces formes critiques semblaient globalement viser les personnes âgées ou atteintes de pathologies préexistantes, il n’en est rien, beaucoup de personnes en bonne santé sont aussi concernées. «Aujourd’hui en France, près d’un tiers des patients qui sont hospitalisés en réanimation, y compris des patients de moins de 40 ans, n’ont pas de facteur de risque ni de pathologie antérieure. Nous ne savons pas encore pourquoi, mais il est possible qu’il y ait un terrain génétique facilitateur de la maladie », alerte l’infectiologue Benjamin Davido.