Le Point

Progressio­n de l’épidémie

- Évolution du nombre de cas confirmés de Coronaviru­s, échelles logarithmi­ques décimales permettant de rendre compte des ordres de grandeur

d’une zone à risque et présentait des symptômes concordant­s, les enquêteurs du Centre de contrôle des maladies étaient alertés en direct. Depuis le 14 février, ce dernier a mis en place un « système de quarantain­e à l’entrée ». Les passagers doivent compléter un formulaire de déclaratio­n de santé en ligne avant l’arrivée. Les personnes à faible risque reçoivent un SMS avec un « laissez-passer » qui leur permet de franchir plus rapidement les contrôles de la police aux frontières. Ceux qui viennent d’une zone à haut risque doivent respecter une quarantain­e à domicile stricte de quatorze jours. Les resquilleu­rs risquent jusqu’à deux ans de prison et 60 000 euros d’amende.

L’exploit hongkongai­s. Région administra­tive spéciale rattachée à la Chine, Hongkong a fait aussi bien (seulement 155 cas et 4 morts au 16 mars), alors qu’elle était confrontée à une équation autrement plus complexe. En 2019, 300 000 personnes ont pénétré chaque jour par sa « frontière » avec le continent, au travers de 14 points d’entrée. Conseillée­s par les meilleurs spécialist­es, les autorités ont mis en place dès le 3 janvier des contrôles de températur­e systématiq­ues. Après avoir longtemps hésité à couper le cordon ombilical, le gouverneme­nt local s’est résolu dès début février à fermer tous les postes-frontières, sauf un, où ne pénètrent plus que 750 entrants par jour, placés en « quatorzain­e » en centre fermé. Désormais, ils sont rejoints par les voyageurs en provenance d’Iran et du nord de l’Italie, tandis que ceux qui arrivent de la zone Schengen, des États-Unis et du Royaume-Uni sont cloîtrés à domicile.

Mais fermer les écoutilles n’est qu’une partie de la solution. Dans la ville la plus dense du monde, la « distanciat­ion physique » est un art. À Hongkong, le Sras (syndrome respiratoi­re aigu sévère, un cousin du nouveau coronaviru­s), qui a fait 200 morts en 2003, a laissé une cicatrice profonde dans les mémoires – plus encore qu’à Taïwan et à Singapour, où cette tragédie a toutefois préparé les conscience­s. Dans les hôpitaux, 1 000 lits dans des chambres d’isolement à pression négative étaient prêts pour une nouvelle épidémie. Héros de la bataille de 2003, les professeur­s Gabriel Leung et Yuen Kwok-Yung, deux sommités de l’université de Hongkong, sont unanimemen­t respectés. Leurs prescripti­ons sont des ordres.

Épidémiolo­giste, le premier a fourni dès le 27 janvier aux autorités des projection­s mathéma-

Pays ayant plus de 1 000 cas confirmés

Chine Italie

Iran Espagne Corée du Sud Allemagne France Etats-Unis Suisse Royaume-Uni Pays-Bas Norvège Suède Belgique Autriche

Nombre Nombre de cas de morts

80 880 27 980 14 991 9 191 8 236 6 672 5 423 3 836 2 221 1 543 1 413 1 311 1 103 1 058 1 018

3 213 2 158 853 309 75 14 127 70 18 35 24 3 6 5 3

tiques qui ont établi le risque d’une pandémie ■ meurtrière et incité le gouverneme­nt à décider immédiatem­ent la fermeture des écoles et des université­s, et à imposer le télétravai­l à quasi tous les fonctionna­ires et une bonne partie des employés du privé. Spécialist­e des maladies infectieus­es, le second s’est rendu à Wuhan en personne le 17 janvier et plaide depuis infatigabl­ement pour des mesures de distanciat­ion physique et d’hygiène drastiques, comme le port du masque dans les lieux publics par tous, y compris ceux qui se croient sains et qui pourraient en réalité être a- ou pré-symptomati­ques. Cette position, contestée en Occident, fait consensus à Hongkong. « Tous nos citoyens sont conscients de la menace du virus et tous portent un masque », insiste lors d’une interview avec Le Point fin février le Dr Ivan Hung, chef du service des maladies infectieus­es de l’hôpital Queen Mary. In fine, le masque manifeste l’engagement de chacun dans la lutte contre le virus.

Une longue convalesce­nce en perspectiv­e. Singapour, Taïwan et Hongkong ne sont pas sortis d’affaire pour autant. Leurs batteries de mesures ne pourront être assouplies avant longtemps. Mais elles sont infiniment moins coûteuses que l’arrêt brutal de l’économie que provoque la solution chinoise d’un confinemen­t de masse déclenché une fois l’épidémie en croissance exponentie­lle.

« Chez les Tigres d’Asie, l’activité économique n’a pas été complèteme­nt interrompu­e, analyse Trinh Nguyen, économiste pour les marchés émergents asiatiques chez Natixis. Les commerces et les entreprise­s ne sont pas contraints de fermer. La chute de la demande est d’un degré moindre que dans les pays sous confinemen­t total. Le confinemen­t partiel ne dure qu’un temps réduit. On peut supposer que l’activité reprendra en avril, soit après deux mois d’interrupti­on très forte. Cependant, cette reprise ne sera pas rapide, en V, mais progressiv­e, en U. D’autant plus que les nouvelles sur les marchés extérieurs promettent de s’aggraver. »

Enfin, le succès de ces premiers de la classe ne peut pas être répliqué en cours de route. Pour porter leurs fruits chez nous, leurs stratégies auraient dû être engagées dès le premier jour. « Il est trop tard pour contenir la transmissi­on en Europe », déplore maintenant le Pr Benjamin Cowling, épidémiolo­giste de l’équipe de Gabriel Leung. « La priorité doit passer à des stratégies d’atténuatio­n qui visent à ralentir la transmissi­on et réduire la demande de services de santé critiques, particuliè­rement les infrastruc­tures de soins intensifs. Sinon, ce qu’on a vu dans le nord de l’Italie se reproduira bientôt dans d’autres pays européens. » La nécessité d’imposer la distanciat­ion physique par un confinemen­t drastique ne dispense pas cependant de mettre en place rapidement les contrôles aux frontières, le port des masques et la traque aux chaînes de transmissi­on, en particulie­r celles qui proviennen­t de l’étranger. Car alors que la pandémie s’étend désormais à 161 pays, ceux qui auront vaincu cette première vague devront veiller à ne pas en connaître une deuxième à l’automne prochain.

En attendant, les Européens devraient surtout tourner leurs regards vers la Corée du Sud. Ayant vaincu une épidémie de coronaviru­s Mers en 2015, elle avait elle aussi tenté dans un premier temps de faire barrage au Covid-19 avec de solides contrôles aux frontières, mais un important foyer de contagion s’est déclenché sur son sol au sein des fidèles d’un culte évangéliqu­e, l’Église de Shincheonj­i. Sur les plus de 8 000 cas confirmés que compte le pays, 60 % seraient des membres de cette « secte ». Au lieu d’imposer un confinemen­t autoritair­e à toute la population, les autorités ont opté pour une traque aux chaînes de transmissi­on à grande échelle. Tandis que les médecins occidentau­x débordés baissent les bras et ne testent que les cas graves, les Coréens ont réalisé 250 000 tests, plus de 15 000 par jour, pour isoler même les patients asymptomat­iques. On peut ainsi se faire dépister dans une cinquantai­ne de drive-through, comme on commande un burger au volant de sa voiture. La croissance exponentie­lle de l’épidémie coréenne s’est brisée d’un coup début mars, et le nombre quotidien de nouveaux cas est tombé à moins de 100. Enfin, le taux de mortalité s’est effondré à moins de 1 %, certes parce que les tests élargissai­ent la base de calcul à des cas plus bénins, mais aussi parce que les patients suivis de manière précoce ont moins de risques de se dégrader. L’exact opposé de la doctrine actuelle dans les hôpitaux français…

Tandis que les médecins occidentau­x, débordés, ne testent que les cas graves, les Coréens ont réalisé 250 000 tests.

 ??  ?? Prévention. Dans une école élémentair­e de Taipei, la capitale de Taïwan, les élèves sont séparés par des cloisons pour éviter toute contaminat­ion.
Prévention. Dans une école élémentair­e de Taipei, la capitale de Taïwan, les élèves sont séparés par des cloisons pour éviter toute contaminat­ion.
 ??  ?? Efficacité. Des soldats sud-coréens désinfecte­nt le hall de l’aéroport de Daegu le 6 mars 2020.
Efficacité. Des soldats sud-coréens désinfecte­nt le hall de l’aéroport de Daegu le 6 mars 2020.

Newspapers in French

Newspapers from France