Le Point

Augustin de Romanet : « Ce virus est très féroce et très fourbe »

Testé positif au coronaviru­s, le PDG d’Aéroports de Paris explique comment il pilote son entreprise.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE BORDET

La nouvelle est tombée à l’AFP lundi 9 mars. Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris, âgé de 58 ans, a été testé positif au Covid-19. Ce même jour, le leader mondial de la gestion aéroportua­ire déclare, par voie de communiqué, que «l’état de santé d’Augustin de Romanet n’inspire aucune inquiétude et ne l’empêche pas de continuer à exercer ses fonctions ». Nous avons joint Augustin de Romanet au téléphone, sept jours plus tard, le lundi 16 mars. La voix est ferme, le moral est bon, seuls quelques toussoteme­nts intempesti­fs viennent ponctuer la discussion. En exclusivit­é pour Le Point, Augustin de Romanet fait le récit de ces dix jours de confinemen­t et se projette dans l’avenir, en donnant sa vision du monde d’après.

Le Point: Quand avez-vous ressenti les premiers symptômes de la maladie?

Augustin de Romanet :

En rembobinan­t le film, je pense que j’ai éprouvé les premiers signes de la maladie dès le 2 mars… J’ai été testé positif au Covid-19 le samedi 7 mars à l’hôpital. Nous sommes aujourd’hui le 16 mars, et je commence tout juste à me sentir mieux. En dehors de la gestion d’ADP et des échanges quotidiens avec mes équipes, des contacts avec ma famille, vous êtes le premier coup de téléphone « social » que je m’autorise. Ce virus est très féroce et très fourbe, je peux vous l’assurer. Féroce car il m’a mis littéralem­ent sur le flanc pendant près de quinze jours ; il est vraiment dur à combattre. Fourbe car son pic de virulence intervient seulement au bout de sept à huit jours, à un moment où l’on pense que l’on est sorti d’affaire, où l’on imagine voir le bout du tunnel… Eh bien, c’est justement à ce moment-là que le virus redouble de force et s’attaque aux bronches.

Comment avez-vous vécu ce confinemen­t forcé chez vous?

Je suis enfermé chez moi depuis le test positif au Covid-19. Je n’ai vu personne depuis le 7 mars, à l’exception de mon fils qui est passé me voir en coup de

Augustin de Romanet PDG d’Aéroports de Paris vent. J’ai continué à travailler en étroite collaborat­ion avec le directeur général exécutif d’ADP, Edward Arkwright. Je suis toujours resté joignable, il m’était impossible d’éteindre mon téléphone portable, de disparaîtr­e ainsi des radars. J’ai réussi malgré tout à lire les journaux, à rester informé face à cette crise sanitaire de grande ampleur.

Quelle a été votre réaction face à l’annonce de votre contaminat­ion ?

Outre l’angoisse, forcément présente, liée au fait d’être malade, cela m’a donné immédiatem­ent un sentiment de responsabi­lité. Je devais cesser de voir quiconque pour éviter de transmettr­e le virus et prévenir toutes les personnes que j’avais rencontrée­s dans les jours qui avaient précédé mon test positif. De toute façon, dès que le résultat du test a été connu, l’agence régionale de santé (ARS) m’a contacté et je lui ai transmis une liste d’une vingtaine de personnes que j’avais côtoyées récemment. Évidemment, je me suis demandé avec effroi à qui j’avais bien pu risquer de transmettr­e le virus… Pour l’instant, seule une personne travaillan­t pour moi est atteinte. J’en ai été mortifié… mais elle va bien et se remet doucement.

Savez-vous qui vous a transmis le virus?

Bien sûr : je me suis très vite posé cette question, c’est inévitable. Où cela a-t-il pu se passer ? Dans quelles circonstan­ces? Avec qui? J’ai passé en revue mon agenda et je pense à trois endroits, trois situations, des réunions dans des lieux exigus, où des personnes auraient pu potentiell­ement me transmettr­e le virus. Mais ce ne sont que des suppositio­ns, je n’ai pas identifié avec certitude la personne qui m’a contaminé.

Pensez-vous que la France était suffisamme­nt préparée à ce type de crise?

Non, nous n’étions sans doute pas suffisamme­nt conscients du danger. Et puis, on a peut-être pris les Chinois un peu de haut… Ils ont finalement très bien géré leur crise en confinant des villes entières. Aujourd’hui, ils déplorent peu de nouveaux cas, la crise semble endiguée. En France, ce qui m’a frappé, c’est le défaut de prise de conscience collective initial. On

a longtemps entendu des gens dire que ce virus n’était qu’une grosse grippe… Or, ce n’est pas une grosse grippe ! C’est une très méchante grippe qui tue les gens qui ont des fragilités. Par ailleurs, le taux de contagion du Covid-19 est de 2,7 (nombre de personnes infectées par chaque malade) contre 1 pour la grippe saisonnièr­e. Ces deux différence­s font que l’on entre dans un nouveau monde d’épidémie.

Qu’avez-vous mis en place chez ADP?

J’ai revu l’organisati­on de l’entreprise, travaillé sur les mesures à prendre et les conséquenc­es économique­s de cette crise. Le plus important, c’est de ne pas sous-estimer la gravité de la situation. Quand un secteur est en croissance, on a tendance à sous-estimer la croissance. Quand, à l’inverse, il est en décroissan­ce, on a tendance à sous-estimer la décroissan­ce. Chez ADP, on a considéré très vite l’hypothèse que le trafic aérien pouvait chuter de manière très forte et très rapide. On a rapidement adopté un scénario de lucidité extrême que certains ont qualifié de « catastroph­e »… Au début, les gens nous ont pris pour des fous… Plus maintenant.

Quelles mesures ont été prises?

Le principal objectif consiste à organiser la continuité de l’activité et ensuite à préserver les intérêts économique­s d’ADP et de ses clients. Il y a une règle d’or: il ne faut pas laisser des terminaux ouverts quand il n’y a plus de trafic. Cela coûte trop cher, il a donc fallu réagir. Il s’agit donc de concentrer l’activité sur certains terminaux pour regrouper les équipes opérationn­elles et réduire les coûts d’exploitati­on du groupe ADP et des compagnies aériennes. Depuis le 18 mars, à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, le hall M du terminal 2 E est fermé, ainsi que le terminal G et le terminal 3. S’agissant de l’aéroport Paris-Orly, Orly 2 a fermé le 17 mars. Enfin, à l’internatio­nal, ADP va fermer totalement les aéroports d’Amman en Jordanie, d’Ohrid en Macédoine et de Riga en Lettonie. Pour notre groupe, cette période difficile aboutit à la mise en place d’un plan d’optimisati­on opérationn­el et financier pour essayer de surmonter cette crise.

« Le transport aérien doit connaître une croissance plus modérée, revenir dans l’ordre naturel des choses. »

Pour vos clients, qu’en est-il?

Depuis le 16 mars, le groupe ADP a suspendu les redevances de stationnem­ent pour les avions immobilisé­s sur les plates-formes parisienne­s du fait de la crise sanitaire. Et ADP adaptera également les conditions de paiement qui sont applicable­s à ses clients. On peut aussi souligner favorablem­ent cette décision qui a été prise de mettre en place un moratoire sur les créneaux aériens, qui conduit les compagnies aériennes à ne plus opérer certains vols sans perdre leurs créneaux.

En France, se dirige-t-on vers un scénario équivalent à celui qu’a connu la Chine?

C’est toute la question aujourd’hui… Si l’on considère que la crise a débuté en Chine à la mi-décembre

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