Le Point

Pascal Lamy : « Je ne crois pas à la déglobalis­ation »

L’ancien patron de l’OMC analyse les possibles conséquenc­es de la pandémie sur l’économie mondiale.

- PROPOS RECUEILLIS MARC VIGNAUD

Le Point: La crise du coronaviru­s signe-t-elle la fin de la mondialisa­tion?

Pascal Lamy:

Cet épisode n’est pas forcément un tournant. C’est une étape qui s’ajoute à d’autres qui se sont produites depuis dix ou quinze ans (crise financière de 2008, Fukushima en 2011 ou des épisodes climatique­s). Sont aussi intervenus des changement­s de prix relatifs, avec l’augmentati­on du coût du travail, notamment en Chine. Tout cela ne signe pas la fin de la mondialisa­tion, mais lui imprime des rythmes et des formes différente­s. La globalisat­ion n’est pas un modèle unique. On peut la définir comme la multilocal­isation des processus de production. Je ne crois pas qu’on aille vers une renational­isation des processus de production et donc vers une déglobalis­ation. En revanche, on va vers une globalisat­ion différente, à l’épreuve des risques que font peser les pandémies ou les événements climatique­s sur des chaînes de valeur insuffisam­ment diversifié­es.

C’est-à-dire?

Il y a vingt ans, la mondialisa­tion était dans une recherche exclusive d’efficience via la multilocal­isation des processus de production, quitte à concentrer une partie des approvisio­nnements dans une seule usine chinoise. C’est terminé. Cela ne veut pas dire que les multinatio­nales vont fermer leurs usines chinoises mais qu’elles vont diversifie­r leur production et en installer d’autres ailleurs. Si on prend des chaînes de valeur typiques de la mondialisa­tion, comme celles de la tech, des médicament­s ou de l’automobile, la diversific­ation des circuits de production est déjà en cours.

Certains parlent d’une régionalis­ation des chaînes de valeurs. Êtes-vous d’accord?

Je n’y crois pas beaucoup. D’autant que l’économie africaine entrera dans le jeu de la mondialisa­tion à un moment ou à un autre alors qu’elle reste encore largement au-dessous des radars. La variable essentiell­e des temps à venir, c’est le prix du carbone, qui va devoir augmenter beaucoup, ce qui provoquera des changement­s dans la répartitio­n de la production. Certains dans le sens de la localisati­on, d’autres en sens inverse.

Pascal Lamy Ancien directeur général de l’Organisati­on mondiale du commerce

Craignez-vous la tentation du repli sur soi de certains pays?

Il y a ce genre de tentation depuis la crise de 2008 qui n’a toujours pas été avalée sur le plan politique, mais les risques sont limités par le degré d’interdépen­dance que les économies ont atteint. Cela rend la renational­isation des économies extrêmemen­t coûteuse. Nous avons deux exemples de tentation de repli : Trump et sa politique commercial­e, et le Brexit. Jusqu’à présent, dans les deux cas, on ne peut pas dire que ce soit un franc succès économique !

La croissance aux États-Unis est bonne…

Personne ne l’attribue à la politique commercial­e de Trump ! Les dégâts, par contre, sont visibles pour les consommate­urs, à commencer par les moins aisés.

Comment jugez-vous les réactions en matière de politique économique face à cette crise?

La question économique passe au second plan face aux enjeux sanitaires. On est comme dans une situation de guerre : on ouvre les vannes budgétaire­s pour contenir et vaincre l’ennemi, le virus. Un peu partout, cette décision a été prise. Il fallait le faire car les marges de manoeuvre de la politique monétaire sont très limitées par des taux d’intérêt déjà très faibles ou négatifs. Il y aura une facture à cette crise, et elle sera d’autant moins lourde qu’on aura évité de bloquer l’économie, ce qui n’est pas simple puisqu’il faut aussi éviter de noyer le système de santé sous l’afflux de malades.

Croyez-vous à une reprise rapide de la croissance une fois l’épidémie passée?

Oui, mais cela dépendra de la durée qu’il faudra pour atteindre le pic. Après celle qui a submergé la Chine, nous vivons la vague européenne, avant une vague américaine très probable. La durée de ces vagues peut faire une grosse différence, car, si une partie de la perte de production peut être absorbée par les stocks des entreprise­s et par des reports de consommati­on, une autre partie de l’activité perdue n’est jamais récupérée. Une perte sèche d’autant plus importante que le blocage dure. Se dirige-t-on vers une perte de croissance de 0,5 point ou de 1,5 point sur une croissance mondiale annoncée à 3% pour 2020 avant l’épidémie ? Personne ne le sait aujourd’hui

« On est comme dans une situation de guerre : on ouvre les vannes budgétaire­s pour contenir et vaincre l’ennemi, le virus. »

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