Traquer la bêtise
Poche. Vivre, fuir, « recourir aux forêts », aurait dit Jünger, abolir le temps, renoncer à la cruauté des hommes, des régimes et de l’Histoire, marcher jusqu’aux étendues marines, croire en la tendresse, tout cela est possible. Au fil des livres, la traque d’Andreï Makine contre la bêtise et la bestialité humaines devient une quête ; avec le temps, sa rage et son coeur tournent. Peut-être que le monde n’est pas inéluctable, que l’Homme n’est pas que sa voracité, qu’il peut encore créer des mondes poétiques. Comme souvent chez Makine, les voies et les voix narratives se superposent dans ce roman gigogne. Il y a un nazillon, sa mère, son manuscrit apocalyptique,
l’écrivain à qui il a été confié, et un autre écrivain, narrateur, qui a tout à voir avec l’académicien et sa vision – toute houellebecquienne – d’un monde « en phase terminale » : « Le chaos se décante, la mascarade de l’Histoire révèle son absurdité. Et la masse humaine – magma d’ethnies, de races, de classes, de clans, d’alliances et de mille autres “catégories” – se réduit à son essence : ceux qui acceptent les limites de l’existence et ceux qui les défient. » Comme ses personnages, et la structure narrative de ce texte, Makine est ambigu. Mais plutôt que de s’endormir dans la masse, il refuse le sommeil. Ses mots, sa langue, et sa merveilleuse faculté des songes nous tiennent debout devant le déluge
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Au-delà des frontières, d’Andreï Makine
(Le Livre de poche, 240 p., 7,40 €).