Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez, Luc de Barochez
Moins de revenus, plus d’impôts et d’inflation, au sortir de la crise sanitaire, l’avenir sera bien sombre pour le niveau de vie.
Les images angoissantes des infirmières en blouse blanche et charlotte bleue rendent presque nostalgiques de celles des Gilets jaunes caillassant les CRS. Lesquelles paraissent appartenir à une époque lointaine, comme les motifs économiques qui avaient déclenché cette colère sociale : la hausse des taxes sur les carburants et la revalorisation du pouvoir d’achat. La pandémie a balayé ces préoccupations d’hier. Le prix du pétrole s’est effondré (20 dollars le baril, contre 60 dollars en début d’année), sans que les Français puissent toutefois en profiter, leurs automobiles restant au garage. Le pouvoir d’achat devait progresser nettement cette année grâce aux mesures socio-fiscales du gouvernement, mais la question se limite désormais à savoir de combien sera sa chute. Sans vouloir plomber davantage le moral, l’avenir s’annonce de ce côté bien sombre, avec des revenus inévitablement en baisse, et des impôts et une inflation très probablement en hausse.
Des économistes ont pu établir de façon un peu terrifiante que, lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919, le nombre de décès avait été si élevé dans certains pays que le PIB par habitant y avait au bout du compte progressé. Fort heureusement, rien de tel n’est envisagé aujourd’hui avec l’épidémie de Covid-19, si meurtrière soit-elle : la baisse du PIB (3 points par mois de confinement, selon l’Insee) s’annonce plus importante que la diminution de la population. Mais cela signifie a contrario que la richesse par habitant va fortement reculer.
Même avec les mesures d’indemnisation, les 5 millions de salariés qui se retrouvent au chômage partiel vont voir leurs revenus amputés et surtout, malgré le soutien de l’État, de nombreux petits commerces et entreprises à la santé déjà fragile avant l’épidémie auront du mal à survivre, ce qui laisse craindre au sortir de la crise sanitaire une vague massive de licenciements. Le pouvoir d’achat risque aussi d’avoir à subir une poussée d’inflation, les rouages du commerce mondial étant durablement grippés, tandis que les entreprises vont logiquement chercher à compenser par une hausse de leurs prix la baisse de leur chiffre d’affaires. Quant à la volonté d’Emmanuel Macron de « rebâtir une souveraineté économique » à travers les relocalisations industrielles, elle sera, si elle se traduit dans les faits, une très mauvaise nouvelle pour le consommateur français. Une étude de la Banque de France a estimé à 1 000 euros en moyenne paranetparménageleséconomiesréaliséesgrâceauximportations
Les relocalisations industrielles seront une très mauvaise nouvelle pour le consommateur français.
de produits bon marché fabriqués dans les pays à bas coût. Le monde d’après risque donc fortement d’être plus inflationniste que le monde d’avant, d’autant que les banques centrales ont annoncé leur intention de créer ex nihilo des quantités colossales de monnaie pour les injecter dans le circuit économique et financier. Faire fonctionner la planche à billets au même rythme que les machines à masques chirurgicaux risque rapidement de diminuer le pouvoir d’achat de monnaies surabondantes, ce qui est la définition même de l’inflation. De surcroît, cet argent coulant à flots mais avec une moindre valeur ne devrait pas suffire à financer les montagnes de dettes que les États ont choisi d’émettre pour soutenir l’économie. Pour tenter de colmater tant bien que mal les trous budgétaires béants, des hausses massives d’impôts semblent donc inévitables, notamment pour les ménages les plus aisés, au niveau de vie et au patrimoine par ailleurs sérieusement estropiés par le krach boursier en cours et le krach immobilier à venir.
Il n’est pas besoin de croire à la théorie du ruissellement pour être convaincu de la pertinence de celle de l’assèchement. Des riches beaucoup moins riches, cela veut dire moins d’emplois à domicile, moins de travaux de rénovation et de décoration dans leurs résidences secondaires, où ils ont, de façon très peu civique, choisi de vivre le confinement ; cela veut dire moins de travail futur pour les artisans locaux et moins de plateaux de fruits de mer commandés dans les restaurants quand ceux-ci rouvriront.
Mis à part les personnels soignants, auxquels le chef de l’État a promis le versement de primes, dont il faut souhaiter que le montant soit à la hauteur de leur dévouement sacrificiel, aucune catégorie de Français ne peut raisonnablement espérer une hausse de son pouvoir d’achat dans un avenir proche. Pas plus qu’il n’existe de traitement miracle contre le Covid-19, ce mal en train de s’attaquer durement et durablement au niveau de vie. Les Français vont vite regretter l’époque, pas si lointaine, où celui-ci stagnait
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