La piste des autres laboratoires de Wuhan
Laboratoire P2 du Centre de prévention et de contrôle des maladies de Wuhan
Marché de Huanan colonie la plus proche, totalement hors de portée de vol, détaillait-il le 19 avril dans une interview au Point. Cependant, cette épidémie s’est produite à la porte des laboratoires qui conduisent le plus vaste projet de recherche au monde sur les virus de chauve-souris. » Le chercheur a pour pièce à conviction une vidéo du 11 décembre 2019 où un chercheur de Wuhan, Tian Junhua, se vante de collecter des coronavirus de chauve-souris sans équipement de protection approprié. Tian Junhua appartient à une équipe d’un laboratoire de la ville, le P2 du Centre de prévention et de contrôle des maladies (abrégé CDC en anglais) de Wuhan. Or il a participé à la publication, le 23 janvier 2020, du génome du coronavirus de chauve-souris RaTG13, similaire à 96 % au SARS-CoV-2. Fait inhabituel et suspect, le RaTG13 avait été isolé en 2013 et n’a été publié qu’après le déclenchement de la pandémie, sept ans plus tard. Le CDC de Wuhan menait donc ses propres recherches sur les coronavirus de chauve-souris, indépendamment de l’Institut de virologie. « Le CDC et l’Académie des sciences de Chine, dont dépend l’Institut de virologie de Wuhan, sont en compétition assez frontale », commente un diplomate. « Les Chinois paient leur manque de transparence, déplore Christian Bréchot. Dans le P4 de Lyon, il y a une traçabilité. Pour les Chinois, on n’en sait rien. » Plusieurs scientifiques réputés ont donc pris la parole dans le Washington Post et le Financial Times, mi-avril, pour exiger une enquête internationale sur l’origine du virus. La Chine a déjà fait savoir qu’il n’en serait pas question
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défense et le renseignement ont renouvelé leurs arguments. «Il y avait cette crainte que la Chine soit capable de former des Nord-Coréens ou des Pakistanais sur la technologie duale, ajoute l’ex-diplomate. Mais, si vous êtes dans le laboratoire et que vous voyez un Nord-Coréen, vous le savez ! Et, si vous n’y êtes pas, vous ne le saurez pas. » Ironie de l’histoire ? Les Français partis, les Américains se sont rués sur le créneau. « Comme les Français se sont plutôt désengagés, c’est une équipe américaine de l’université du Texas, menée par James LeDuc, en pointe sur la biosécurité, qui a repris le flambeau », explique Christian Bréchot, aujourd’hui président du Global Virus Network, réseau mondial de virologues, dont le siège est en Floride. Le Daily Mail a révélé que l’Institut national de la santé des États-Unis avait même attribué une bourse de 3,7 millions de dollars (3,4 millions d’euros) à l’Institut de virologie de Wuhan.
Regrets. Sans coopération scientifique à la clé, l’accord de 2004 se résume désormais à un cadeau pour la Chine, la livraison du P4, sans contrepartie pour la France. « Le fait que les projets ne soient pas allés aussi loin a compliqué la situation et la manière dont on a géré la pandémie tout récemment, conclut le diplomate. Quoi qu’on pense par ailleurs de la Chine. Si on avait eu une interaction plus forte avec elle sur ces sujets-là, alors qu’on avait mis en place le cadre pour le faire il y a seize ans, la France aurait réagi différemment à cette pandémie. Et on se poserait moins de questions sur ce qui se passe en Chine. »
Même regret pour Christian Bréchot. Selon lui, le blocage des administrations de la défense et du renseignement ne vient pas d’une stratégie géopolitique ou d’informations fiables sur un programme militaire bactériologique chinois, mais de « réticences personnelles » et d’un féroce « sentiment antichinois ». « Ce sont des gens qui ne connaissent pas [la Chine et ces questions scientifiques], déplore-t-il. Ils ont une réaction spontanée de méfiance. Ils pensent que les Chinois vont nous prendre la propriété intellectuelle. Ce ne sont pas des analyses très pointues. »