Le Point

La bataille scientifiq­ue franco-allemande

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phtérie, qui tue 30 000 enfants par an. Dès 1888, Émile Roux et Alexandre Yersin découvrent que son bacille produit un poison, une toxine, responsabl­e de la maladie. En Allemagne, où l’on travaille sur le tétanos chez les collaborat­eurs de Koch, Behring et Kitasato, on inactive la toxine pour immuniser des animaux de labo. Leur sérum, le sang débarrassé de ses cellules, contient des antitoxine­s, ce qu’on appellera plus tard, des anticorps. Les Français qui s’inspirent des Allemands mettent au point en 1894 un sérum antidiphté­rique ; la demande est telle que Le Figaro lance une souscripti­on pour ouvrir à Marnes-la-Coquette un haras de chevaux immunisés qui fourniront les sérums. La sérothérap­ie est née. Au même moment, une autre recrue de Pasteur, l’Ukrainien Metchnikof­f, démontre que nos globules blancs renferment des cellules capables de nous protéger en mangeant les microbes : des phagocytes. Un des deux principes de l’immunologi­e, la voie cellulaire, est découvert. Les Allemands, qui ont travaillé sur les antitoxine­s, prennent l’autre voie de l’immunologi­e, dite humorale, car reposant sur les anticorps du sang. Toutes les recherches actuelles sur le coronaviru­s, tests sérologiqu­es, vaccins, dérivent de cette formidable aventure pastorienn­e, stimulée par les rivaux allemands. Le mythe de Pasteur perdure jusqu’après la fin de la Première Guerre mondiale. Pendant le conflit, les soldats ont été vaccinés contre la typhoïde et le paludisme ; des campagnes menées à l’initiative des lieutenant­s du scientifiq­ue. En 1923, le premier timbre facial émis est à son effigie. Cependant, malgré la pièce et le film que Sacha Guitry lui consacre, son souvenir s’efface. Parfois, il est exhumé : quand, en 1957, Lépine met au point le vaccin contre la polio, il est qualifié de nouveau Pasteur. « L’Institut, lui, faute de soutien de l’État, est au bord de la faillite dans les années 1960 », rappelle Schwartz. Il faudra l’énergie et le talent de Jacques Monod – qui, avec François Jacob et André Lwoff, avait obtenu en 1965 le Nobel pour ses recherches sur la synthèse des protéines cellulaire­s par l’ADN, base de la biologie moléculair­e –, pour que l’Institut retrouve des crédits et du lustre.

Course au vaccin. En 1995, le centenaire de l’invention du cinéma par les frères Lumière est aussi celui de la mort de Pasteur: une somp tueuse cérémonie est organisée à l’Unesco avec des messages des chefs d’État dont Bill Clinton. Des colloques sont organisés à Rio, Dakar, New York, Hanoï. Cent vingt pays accueillen­t une exposition. Vingt-cinq ans plus tard, la France, qui se cherche son nouveau Pasteur, a cru le trouver en Didier Raoult. En attendant, l’Institut élabore les tests et le vaccin pour le Covid-19. Mais les Allemands viennent de prendre les devants en lançant leurs premiers tests pour un vaccin contre le coronaviru­s. À l’origine, l’institut Paul-Ehrlich, baptisé ainsi en hommage à l’un des lieutenant­s de Koch. Le match continue

À lire, d’Annick Perrot et de Maxime Schwartz, Pasteur et ses lieutenant­s (2013), Pasteur et Koch (2014), Le Génie de Pasteur au secours des poilus (2016),

Le Neveu de Pasteur (2020) aux éditions Odile Jacob. Par ailleurs : Louis Pasteur, le visionnair­e, le catalogue de l’exposition (La Martinière).

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MEMBRES DE L’INSTITUT PASTEUR Émile Roux met au point un sérum antidiphté­rique.
 ??  ?? Attaque. En 1884, Jules Ferry, ministre des Affaires étrangères, décore le Dr Koch pour son action contre le choléra. Décoration qui rendra furieux Louis Pasteur. (Dessin réalisé par Alfred Le Petit pour
« Le Grelot »,
3 août 1884).
Attaque. En 1884, Jules Ferry, ministre des Affaires étrangères, décore le Dr Koch pour son action contre le choléra. Décoration qui rendra furieux Louis Pasteur. (Dessin réalisé par Alfred Le Petit pour « Le Grelot », 3 août 1884).
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Au Japon en 1906, Robert Koch (à g.) et le Pr Kitasato (3e à g.), qui avait découvert en 1894, en même temps que Yersin, le bacille de la peste.

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