Le Point

Le Covid-19, une « étrange défaite » pour la France ?

- PAR SÉBASTIEN LE FOL

En France, il est de coutume d’apposer de grands mots sur nos maux. Ainsi, si notre pays mouline face au Covid-19, c’est la faute au « néolibéral­isme », à la mondialisa­tion et à la décadence de notre société. Pour les nouveaux procureurs, cette pandémie n’est pas qu’un événement sanitaire. Elle est le fruit de maladies morales et politiques ayant infecté la nation tout entière. Le désastre militaire de 1940 et l’avènement du régime de Vichy suscitèren­t de telles interpréta­tions, comme le montre l’historien américain Philip Nord dans France 1940 (Perrin). Pour expliquer nos revers sanitaires et administra­tifs de 2020, certains citent le pamphlet de Marc Bloch, L’Étrange Défaite. Il est en effet tentant d’établir un parallèle entre le « manque d’imaginatio­n des planificat­eurs militaires » de l’époque et les carences stratégiqu­es de nos technocrat­es actuels. Si elle n’est pas dénuée de pertinence, cette vision décliniste « considère isolément le destin de la France ». En 1939, selon Nord, nous n’étions pas si mal préparés. Mais, quand la guerre commença, les questions de doctrine militaire, de conduite des opérations sur le terrain ne furent pas à notre avantage. Notre absence de doctrine sur les masques et notre mauvais plan de bataille pour les tests se sont révélés aussi contre-productifs qu’en 1940 mais, heureuseme­nt, la France de 2020 n’a pas été affligée de la même épidémie de défaitisme. Il faut cependant en tirer les leçons, car 1940 offre l’exemple même d’un fiasco dans la réponse apportée à une crise. Quant à l’interpréta­tion décadente des faits, qui compare la France à un pays fatalement sous-développé, elle réduit notre nation à un génome abâtardi. Un bon usage de cette crise serait de mettre en pratique les succès des autres pays. Or le culturalis­me sert encore chez nous d’argument pour justifier des exceptions aberrantes. Notre sursaut dépend en partie de cette prise de conscience. Une autre manière de traverser cette tempête consistera­it à mettre la tête dans le sable. Une main invisible se chargera de faire ruisseler l’argent nécessaire pour combler les trous béants de notre économie. Le tonneau des Danaïdes est un enfer sans fin, une étrange défaite aussi

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