Le livre vert de Trump
Le président américain serait-il la réincarnation de Mouammar Kadhafi ? Notre chroniqueur note un curieux effet de miroir entre les méthodes et les comportements des deux leaders.
«La particularité de la pensée de Mouammar Kadhafi est qu’elle va droit au but. » C’est ainsi que commence un curieux livre de dictateur, imposé à tout un pays, récité par des millions de personnes, approfondi par la réflexion délirante d’une caste et présenté comme le manuel de survie universelle entre le libéralisme et le communisme. Personne ne s’en souvient aujourd’hui, mais le « livre vert » du fou libyen était un livre sacré écrit par un Dieu fantasque. Cet incipit si péremptoire, imitant maladroitement le verset, nous revient aujourd’hui avec un nouveau Kadhafi dont la pandémie mondiale a affiné le portrait :
Trump. Lui aussi, parangon du surréalisme aux commandes d’une nation, a offert une particularité pour sa pensée : elle va droit au but. Et le rate.
Car c’est un curieux effet de miroir entre les deux hommes, entre Mouammar et Donald : si l’un tuait avec tant de facilité, l’autre ne se prive pas d’en imiter le style légendaire, le look à peine supportable, le droit à l’affirmation la plus hasardeuse au moment le plus critique. Curieux effet de karma : voici que le leader libyen, qu’on a failli oublier après la retombée de la mode des printemps dits « arabes », nous revient, installé à la tête du pays qui a cherché à le tuer. Ne sont-ce pas là les lois moqueuses de la réincarnation? Revivre le point de vue de l’autre ou le subir? Trump et Kadhafi n’avaient-ils pas, d’ailleurs, succombé de la même manière, l’un aux charmes d’une Slovène, l’autre à ceux d’une Ukrainienne ? Une préférence continentale commune ?
Depuis des semaines, Trump nous alimente, dans nos confinements gradués, de sa fantastique épopée d’orateur halluciné en temps de guerre réelle. Tour à tour, il nia la suprématie du virus sur le discours, accusa les Chinois de l’avoir fabriqué, s’offrit le monde entier pour ennemi, décida de couper les vivres à l’OMS, ignora les statistiques des morts, interdit l’immigration et décida même de distribuer des chèques d’aide aux Américains avec son nom dessus. Son élan le porte à ressembler au leader libyen et à son culte de la personnalité.
Mais on sait déjà que ce néokadhafisme est sans peur et sans limites devant le ridicule. Du coup, chez les peuples confinés, on s’interroge : Trump va-t-il oser rédiger un livre vert contre le virus ? Une sorte de « livre jaune » qui ouvre la voie entre les survivalistes et les optimistes ? Peut-être.
Lors d’une de ses dernières sorties médiatiques, Trump expliqua que le virus serait sensible à la chaleur et qu’il suffisait, pour en guérir, d’un bronzage aux UV, ou même de se faire injecter du désinfectant faute de vaccin. C’est le préambule sans fautes du «livre jaune» qui s’écrit sous nos yeux, à chaque sortie médiatique du président le plus dangereux de l’Amérique pour l’Amérique. Il n’a pas encore la structure du livre vert ni son délire organisé, et Trump n’a pas dans son casier les crimes de Kadhafi, ses attentats, sa garde féminine, ses réseaux de violeurs ou ses sorcières accusées d’avoir inoculé le sida aux enfants, mais son personnage se rapproche dangereusement de l’idole du désert. Les deux ont cette passion pour la provocation, cette ruse insondable aux yeux plissés, ce génie de la communication par l’extravagance, cette moquerie permanente des élites et cette idiotie face aux tragédies des leurs. On sort attristé du show régulier de Trump, qui, malgré les prédations de l’empire, précipite pour le moment le déclin d’un pays qui a su fasciner et fabriquer du rêve pour le reste du monde.
Question épilogue : Trump sera-t-il fatal à l’Amérique ? Le chroniqueur se répétera : oui. Qu’on lui donne les quarante-deux ans de règne de Kadhafi. Ou même le quart seulement
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Ce néokadhafisme est sans peur et sans limites devant le ridicule. Va-t-il oser rédiger un livre vert contre le virus ?