Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Après plusieurs mois d’inactivité due au confinemen­t, Martin, coiffeur pour dames de la rue Lepic, décida d’ouvrir un salon clandestin. Ou plutôt des salons clandestin­s, puisqu’il irait coiffer les clientes chez elles, donc dans leur salon. Il en avait assez de voir, dans les rues de Montmartre, passer des femmes mal coiffées et mal teintes. Elles marchaient à petits pas fâchés et honteux, elles qui naguère avançaient avec une lenteur appliquée, fières d’arborer leur blondeur vénitienne ou leurs élégants brushings. L’inventeur du brushing ne s’appelait pas Brushing mais Alès. Patrick Alès. Un Français d’origine espagnole. Mort avant l’épidémie du coronaviru­s : le 21 mai 2019. À Miami, âgé de 88 ans.

– À ma place, dit Martin à Lucienne, son épouse, lors du dîner où il lui confia sa décision, Patrick aurait fait la même chose.

– Reprends des pâtes, dit Lucienne. J’en ai acheté cent paquets à l’épicerie de la rue Durantin.

– J’espère qu’on ne manquera pas d’eau.

La première cliente de Martin habitait rue Tourlaque, dans l’ancien atelier de Toulouse-Lautrec. C’était une fidèle de la rue Lepic, mais Martin ne la reconnut pas sous ses longs cheveux gris et bouclés, elle qu’il avait toujours vue avec de courts cheveux noirs et lisses.

– Bonjour, dit-il. Je viens coiffer votre fille. – Martin, c’est moi ma fille.

– Pardon, madame Bourbeillo­n.

– Ne vous inquiétez pas, Martin : hier, à la boulangeri­e de la rue Caulaincou­rt, on m’a pris pour une migrante.

Après la rue Tourlaque, Martin se rendit rue Labat pour lisser la chevelure rebelle d’une ancienne candidate macronienn­e à la mairie du 18e arrondisse­ment. Elle lui demanda pourquoi il ne portait pas de masque. Il dit que ça l’empêcherai­t de faire la conversati­on avec ses clientes.

– Mais moi je borde un mac, dit la macronienn­e. – Alors taisez-vous.

À la fin de sa journée de travail, Martin fut contrôlé par un policier aux cheveux longs à qui il proposa une petite coupe.

– Ce n’est pas de refus, dit le brigadier Savarin. Quand je me regarde le matin dans la glace, j’ai l’impression de voir mon père. C’était un hippie. Il avait rencontré ma mère à Woodstock. Ça leur aurait pas plu, le confinemen­t. Leur mot préféré, c’était voyage.

Lucienne servit l’apéritif aux deux hommes tandis que son mari officiait sur le sous-officier avant que tous trois ne se mettent à table devant un rôti de boeuf de chez Jacky Gaudin, rue des Abbesses

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Patrick Alès, roi du brushing.

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