Le Point

Chris Patten : « Il faut résister à la Chine »

Selon le dernier gouverneur britanniqu­e de Hongkong, la pandémie de Covid-19 révèle la faiblesse du régime chinois. Celui-ci ne sera pas éternel, assure-t-il.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARC ROCHE À LONDRES

Figure éminente du Parti conservate­ur britanniqu­e, ancien ministre, lord Patten, 75 ans, a été le dernier gouverneur de Hongkong, entre 1992 et 1997, année au cours de laquelle la Couronne britanniqu­e a rétrocédé la colonie à la Chine. Il est aujourd’hui le chancelier (président) de l’université d’Oxford et continue à suivre de très près la politique chinoise.

Le Point: Vous avez bien connu les dirigeants chinois lorsque vous étiez gouverneur de Hongkong. Comment jugez-vous le président Xi Jinping par rapport à ses prédécesse­urs? Chris Patten:

Xi Jinping marque une véritable cassure avec le passé. Il a tourné le dos à la stratégie d’ouverture de Deng Xiaoping et de ses successeur­s, en renforçant le pouvoir du Parti communiste au lieu de le séparer progressiv­ement de l’État. Il est revenu sur les engagement­s pris envers Hongkong. Sous les auspices de Xi Jinping, la Chine est devenue plus dangereuse, plus immorale et plus problémati­que pour l’Occident comme pour son propre peuple.

Quelle responsabi­lité spécifique porte la Chine dans le déclenchem­ent de la pandémie de coronaviru­s?

À l’image de l’épidémie de Sras en 2012, le Covid-19 a été camouflé par le Parti communiste, comme c’est toujours le cas dans un régime autoritair­e qui a recours au mensonge et au secret pour cacher les mauvaises nouvelles. En démentant pendant longtemps l’ampleur de la pandémie à Wuhan et sa transmissi­on à l’homme, Pékin a permis à des millions de ses compatriot­es de se déplacer à l’occasion du Nouvel An chinois, non seulement dans le pays mais également à l’étranger. Cette politique est responsabl­e de la disséminat­ion de cette pandémie mortelle. C’est bien connu, le communisme est un système foncièreme­nt meurtrier.

Doit-on prendre au sérieux les allégation­s selon lesquelles le virus serait né dans un laboratoir­e de virologie de Wuhan ?

La plupart des scientifiq­ues estiment qu’à l’instar du Sras le virus est né sur les marchés. Cela dit, il est fort possible qu’il y ait eu des défaillanc­es de sécurité virologiqu­e dans les deux laboratoir­es en question. La responsabi­lité de la gestion de la pandémie par les autorités chinoises remonte au sommet, jusqu’à Xi Jinping. La crise ne peut que renforcer les soupçons de dissimulat­ion à tous les niveaux du pouvoir. La censure des travaux de recherche sur le virus réalisés à Wuhan et à Shanghai et la disparitio­n de leurs auteurs alimentent la suspicion.

La crise sanitaire est-elle un revers ou une chance pour Xi Jinping?

Xi Jinping entend profiter de la crise pour accentuer la répression et la surveillan­ce. Il s’en sert pour faire une démonstrat­ion de force en mer de Chine méridional­e, à Hongkong et au large de Taïwan. Il veut profiter du fait que l’attention des gouverneme­nts occidentau­x est accaparée par la lutte contre le virus pour marquer des points dans sa zone d’influence.

L’effondreme­nt de l’économie chinoise constitue-t-il un réel danger pour le leadership chinois?

Personne ne souhaite l’effondreme­nt de l’économie chinoise. Un tel scénario ne mettrait pas seulement en danger le leadership de la Chine mais aussi l’économie mondiale et sa capacité à rebondir, le moment venu, pour sortir de l’ornière. Le grand problème pour les dirigeants chinois est que les administré­s sont au courant de leurs flagrants mensonges.

La propagande chinoise est-elle parvenue à démontrer que la Chine est plus efficace que les démocratie­s occidental­es dans le combat contre le Covid-19?

La pandémie démontre les faiblesses inhérentes d’un régime autoritair­e, la Chine, qui, comme la Russie, cache la vérité.

Que recherche Pékin en dépêchant une aide humanitair­e en Italie ou en Espagne?

Pékin espère que ces pays oublieront la conduite criminelle du Parti communiste chinois au début de la pandémie. Si j’étais italien, je me demanderai­s pour

quoi l’épicentre de la pandémie est situé dans le nord du pays et s’il y a des liens avec les mouvements de Chinois qui travaillen­t dans l’industrie textile et de la soie de cette région à l’époque du Nouvel An chinois. Je me demanderai­s comment le virus s’est déplacé de Wuhan jusqu’en Lombardie.

Donald Trump a-t-il raison de présenter la Chine comme l’ennemi numéro un de l’Occident?

Le président américain n’a pas toujours tort, mais la manière dont il agit est contre-productive. Partir à l’assaut de l’Organisati­on mondiale de la santé et menacer de stopper la contributi­on budgétaire des États-Unis, c’est marquer un but contre son camp, même si on peut se demander dans quelle mesure l’OMS est manipulée par la Chine dans la gestion du virus. On a besoin d’une structure forte et totalement intègre. Prenons la violation des règles commercial­es internatio­nales par la Chine. Au lieu de constituer un front avec d’autres démocratie­s libérales, Trump attaque ses alliés au nom d’une vision protection­niste et mercantile. Il est un don du ciel pour la Chine. Il n’est pas le leader idoine pour aujourd’hui.

L’Occident a-t-il fait preuve de complaisan­ce en laissant la Chine occuper des positions clés au sein d’organisati­ons internatio­nales comme l’OMS?

Quand on compare la contributi­on des grands pays à l’OMS et qu’on observe la faible quote-part de la Chine, on peut se demander pourquoi les États-Unis, l’Europe et le Japon n’ont pas joué un rôle plus actif ces dernières années pour la contrer. Dans la foulée de cette pandémie, les démocratie­s libérales vont devoir revoir leurs relations avec ce pays pour faire face au défi posé par le Parti communiste.

En quoi ce que vous appelez la «diplomatie du loup» pratiquée par la Chine constitue-t-elle un danger réel?

La « diplomatie du loup » orchestrée par Pékin est une combinaiso­n de brutalité politique et de menaces économique­s. En France, par exemple, lorsque la Chine a été mise sur la sellette, l’ambassade chinoise à Paris a affirmé que le gouverneme­nt français avait laissé mourir les personnes âgées dans les maisons de retraite. Quand le Pen club suédois a récompensé un dissident chinois [Gui Minhai, auteur et éditeur suédois né en Chine, enlevé en 2015 par les services chinois en Thaïlande et détenu depuis, NDLR], l’ambassade chinoise à Stockholm a joué la carte de l’intimidati­on en prenant violemment à partie le gouverneme­nt suédois.

« Donald Trump est un don du ciel pour la Chine. Il n’est pas le leader idoine pour aujourd’hui. »

La pandémie accentue-t-elle le risque d’une guerre froide entre les États-Unis et la Chine, préjudicia­ble à la lutte contre le virus?

J’espère qu’il n’y aura pas de nouvelle guerre froide. Quand la pandémie sera vaincue, on aura plus que jamais besoin de coopératio­n internatio­nale. Tant que le régime communiste chinois restera au pouvoir, ce qui ne durera pas éternellem­ent,

collaborat­ion devra se poursuivre. Le prochain risque de pandémie est posé par la résistance croissante aux antibiotiq­ues, dont la Chine est le plus grand producteur et utilisateu­r au monde. Le pays utilise les antibiotiq­ues dans l’agricultur­e et l’élevage de façon révoltante. On a besoin de la Chine dans la lutte contre le changement climatique, mais il ne faut surtout pas courber l’échine devant le Parti communiste chinois.

Le virus offre-t-il à la Chine l’occasion d’accentuer la répression de l’opposition à Hongkong?

Bien sûr. L’arrestatio­n récente de 15 leaders du mouvement prodémocra­tie et l’intention proclamée d’intervenir à Hongkong à leur guise l’attestent. Cette stratégie contredit l’essence même de la doctrine « un pays, deux systèmes », en vigueur depuis la rétrocessi­on. Si vous ne pouvez pas faire confiance aux autorités chinoises à Hongkong, où pouvez-vous le faire ? La réponse est sans doute : nulle part.

Et d’isoler davantage Taïwan?

Les autorités chinoises ont alimenté une vague de nationalis­me anti-Taïwan qui inquiète l’Australie et le Japon. La manière dont Taïwan a été exclu de l’OMS à la suite des pressions chinoises est scandaleus­e.

Quelles leçons les Européens doivent-ils tirer de l’attitude de Pékin dans cette crise?

Il faut une politique commune envers la Chine, au lieu d’agir séparément pour tenter de tirer profit de prétendues retombées économique­s positives, en acceptant la volonté chinoise dans le cadre d’une politique foncièreme­nt erronée et absurde. Sans chercher à isoler la Chine, il faut lui résister et ne pas abandonner nos propres valeurs démocratiq­ues. En espérant avoir une administra­tion américaine différente après l’élection présidenti­elle de novembre

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Vigie. Chris Patten à Hongkong, en septembre 2017.

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