Roman : les ravages de l’amour ; le classement de la Fnac ; la minute antique
Années 1970. Révolution sexuelle et mouvement féministe. Une mère, militante au MLF et multipliant les amants, acquiert une maison de vacances dans une île avec l’argent d’un homme à qui elle offre sa fille en contrepartie. Celle-ci, enceinte à 17 ans et ayant ensuite élevé seule sa fille, Lune, entend un jour sa mère lui dire : « Tu n’avais qu’à avorter : il n’en voulait pas de cette gosse ! » Dévastée par cette « horreur », elle cherche d’où peut venir la formulation par une mère d’une phrase pareille et comprend qu’elle subit ce que les généticiens appellent l’« effet maternel », c’est-à-dire la transmission directe par la mère à son enfant de traits physiques et psychiques qui façonnent sa personnalité. « Par ces mutations, disent-ils, la mère est plus que responsable du devenir de sa progéniture. » Le beau et terrible récit de Virginie Linhart parle d’une autre transmission, celle de représentations pathologiques qui peuvent affecter profondément une fille et entraver ou détruire son devenir. Lacan qualifiait de « ravage » inéluctable le rapport des mères à leurs filles et expliquait la puissance, la richesse et la durée du sentiment maternel par ce mélange de haine et d’amour par lequel les mères permettent ou empêchent leurs filles de devenir femmes et mères. Que de ravages, oui, d’horreurs, parfois de crimes, peut justifier ou masquer l’amour maternel. C’est sans doute pourquoi aujourd’hui on emploie systématiquement le mot « maman » au lieu du mot « mère », véritable déni, car une maman ne saurait être mauvaise. Un « papa » non plus, du reste.
Après avoir évoqué dans Le jour où mon père s’est tu (2008) la figure de son père, Robert Linhart, et la maladie mentale dans laquelle, militant maoïste, il s’est enfermé après 1968, Virginie Linhart, tout en sachant que « l’écriture n’est en rien un remède », continue de chercher le sens de sa tragédie personnelle, d’une ambiance à la Varda à celle d’un roman de Maupassant. Dans ces deux récits autobiographiques, elle croise l’« effet générationnel », la grande Histoire (la Shoah, le mouvement de Mai 68, les conquêtes féministes) avec sa propre histoire familiale. Un livre cru, cruel. Linhart écrit pour se libérer de la toute-puissance maternelle: « Que nous est-il arrivé ? Tant que je n’aurais pas trouvé, je ne pourrais pas revoir ma mère. » La narratrice n’a pas fini de s’émanciper des fantômes de son enfance, mais conclut en voyant Lune refuser le legs que sa mère lui a fait de la maison de vacances : « Aujourd’hui je peux l’écrire : l’effet maternel ne touchera pas les descendants des descendants. »
L’Effet maternel, de Virginie Linhart (Flammarion, 216 p., 19 €).
UN LIVRE CRU, CRUEL. LINHART ÉCRIT POUR SE LIBÉRER DE LA TOUTEPUISSANCE MATERNELLE.