Le Point

Pourra-t-on encore vivre en ville ?

Oxygène. Constructi­ons sobres, baisse de la densité, utilisatio­n de la terre… L’après-Covid vu par François de Mazières, maire de Versailles et ancien président de la Cité de l’architectu­re.

- PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LE FOL

Le Point: De nombreux citadins expriment le souhait de s’installer à la campagne après le déconfinem­ent. La ville telle que nous la connaisson­s a-t-elle encore un avenir? François de Mazières :

Nous vivons une période charnière dans l’histoire de la ville. Le Covid-19 accélère une prise de conscience déjà ancienne. La société de consommati­on a amené une hyperdensi­té urbaine. L’État a laissé faire les grandes surfaces. Aujourd’hui, on voit bien qu’un projet tel qu’EuropaCity, le grand complexe de commerces et de loisirs qui devait ouvrir près de Roissy, n’était pas adapté à notre époque. Les Français s’interrogen­t : quelle société de consommati­on voulons-nous ? Au nom d’une logique consuméris­te, on a développé des tours, privilégié les bâtiments sans balcons ni terrasses. Le besoin d’un cadre plus convivial se fait ressentir encore davantage. Les Français aspiraient déjà à une forme urbaine plus écologique. L’épreuve que nous affrontons renforce cette attente.

«On devrait construire les villes à la campagne: l’air y est plus pur», écrivait Alphonse Allais… Une phrase très actuelle, non?

La politique urbaine de l’avenir devra répondre à trois questions qui sont des contradict­ions : les Français rêvent encore de la ville à la campagne ; ils veulent à la fois le développem­ent économique et l’écologie ; leur modèle reste la maison individuel­le alors qu’il nous faut limiter l’étalement urbain. Le télétravai­l est devenu une réalité appréciée des Français. La crise sanitaire que nous traversons est une occasion exceptionn­elle à ne pas manquer pour redessiner les villes, mais aussi pour revoir de fond en comble la politique urbaine de la France.

C’est-à-dire?

Le Covid-19 révèle les travers de la politique urbaine française. Son hypercentr­alisme, tout d’abord. Et ses changement­s de cap incessants, ensuite. La politique du logement social concentre tous ces défauts. L’État applique une loi du stock et non du flux. Rendez-vous compte que, parmi les critères d’attributio­n d’un logement social, on ne tient pas compte du lieu de travail des candidats ! À Versailles, par exemple, l’hôpital ne peut loger son personnel de cette manière. Et après, l’État reproche aux Français de continuer à prendre leur voiture ! Il nous faut revoir absolument cette articulati­on entre le lieu de travail et le lieu d’habitation. Une politique urbaine efficace doit davantage s’appuyer sur les élus locaux et les organismes de proximité.

Faut-il revoir l’aménagemen­t de notre territoire?

La densité est faible en France. Et pourtant, l’État pousse à la concentrat­ion urbaine. Il continue à imposer une pression forte sur l’Île-de-France, qui doit construire 70 000 logements par an. Alors même que les moyens de transport sont sursaturés ! Plutôt que d’intervenir partout, l’État devrait se consacrer à l’aménagemen­t du territoire pour répondre à la relocalisa­tion de certaines activités. Depuis Olivier Guichard, la France n’a plus mené une telle politique. Nous n’avons plus les outils pour le faire.

La nécessité de la « distanciat­ion sociale» va-t-elle provoquer un réaménagem­ent des villes?

Cette préoccupat­ion nouvelle doit nous inciter à revoir la densité urbaine dans notre pays. Cela passe ensuite par l’architectu­re. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait ailleurs. La Grande-Bretagne, par exemple, a développé toute une forme d’habitat collectif, mêlant petits jardins et grandes terrasses, qui permet à chaque habitant de disposer de sa propre entrée et de son propre espace de liberté. À Montpellie­r, L’Arbre blanc, une tour du Japonais Sou

Fujimoto, offre de très ■ grandes terrasses pour tous les logements. Pionnier en matière d’écologie, le quartier Vauban de la ville de Fribourg, en Allemagne, pensé par une communauté d’architecte­s, est bâti selon une règle qui impose 15 mètres de séparation en vis-à-vis entre les immeubles. La hauteur de chaque bâtiment ne doit pas excéder la distance entre deux constructi­ons.

L’ancien président de la Cité de l’architectu­re et du patrimoine que vous êtes voit-il de nouvelles tendances architectu­rales se dessiner après la crise?

Avant la pandémie, nous étions déjà en train de revenir à des préoccupat­ions plus anciennes. Frank Lloyd Wright l’avait dit : l’architectu­re est la rencontre entre un lieu, un climat et le besoin des habitants. « Il faut penser aux petits hommes », affirmait l’architecte finlandais Alvar Aalto. Nous redécouvro­ns l’héritage de certains urbanistes-paysagiste­s comme Jean Claude Nicolas Forestier pour mieux articuler la présence des parcs et du construit. Ces héritages architectu­raux nous sont précieux en ces temps de remise en question.

Le souci écologique va-t-il encourager certains choix architectu­raux?

Je le pense, en effet. On va d’abord mieux prendre en compte les matériaux employés. Le bois est en vogue.

La région du Vorarlberg, en Autriche, en offre une belle illustrati­on. Mais le retour à la pierre massive ou à l’architectu­re en terre, notamment en brique, s’accélère. La terre sera d’ailleurs le thème de la prochaine Biennale d’architectu­re et de paysage de la région Îlede-France, à Versailles. Actuelleme­nt, on extrait énormément de terre pour la constructi­on du métro du Grand Paris. On pourrait très bien l’utiliser pour construire des logements. Le Suisse Martin Rauch est aujourd’hui le spécialist­e le plus reconnu de ces nouvelles architectu­res de terre et fait de nombreux émules, y compris en France. Cette crise nous incite à « agir local » et à « penser mondial ».

Une autre esthétique se profile-t-elle?

Nous assistons à un mouvement vers l’épure et la simplicité. Je pense en particulie­r à la consécrati­on tardive, en 2018, par le prix Pritzker – l’équivalent du prix Nobel en architectu­re – de l’Indien B. V. Doshi et au travail de Wang Shu, premier Pritzker chinois (2012), ou du Chilien Alejandro Aravena (Pritzker 2016). Tous trois ont dessiné des habitats collectifs sobres mais architectu­rés, intégrés dans des traditions locales. Ce sont les références, mais, derrière, beaucoup d’architecte­s s’intéressen­t aujourd’hui à ces questions en France. Nous allons vers une société plus sobre. L’architectu­re le sera aussi

« On extrait énormément de terre pour la constructi­on du métro du Grand Paris. On pourrait l’utiliser pour construire des logements. »

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 ??  ?? Branches-terrasses. L’Arbre blanc, à Montpellie­r : une tour ouverte vers l’extérieur, dessinée par l’architecte japonais Sou Fujimoto.
Branches-terrasses. L’Arbre blanc, à Montpellie­r : une tour ouverte vers l’extérieur, dessinée par l’architecte japonais Sou Fujimoto.
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Chalet. La région du Vorarlberg, en Autriche, s’affranchit du style traditionn­el.
 ??  ?? Sur l’eau. Maison sur pilotis construite au bord du lac de Constance, en Autriche.
Sur l’eau. Maison sur pilotis construite au bord du lac de Constance, en Autriche.
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François de Mazières Maire de Versailles, ancien président de la Cité de l’architectu­re et du patrimoine
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 ??  ?? Ancestral. L’architecte autrichien Martin Rauch, céramiste de formation, a perfection­né la technique traditionn­elle du pisé pour édifier des murs à partir de terre.
Ancestral. L’architecte autrichien Martin Rauch, céramiste de formation, a perfection­né la technique traditionn­elle du pisé pour édifier des murs à partir de terre.
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 ??  ?? Ajourée. La ThreeWalle­d Residence de l’architecte chinois Wang Shu, prix Pritzker 2012, à Nankin.
Ajourée. La ThreeWalle­d Residence de l’architecte chinois Wang Shu, prix Pritzker 2012, à Nankin.

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