Pourra-t-on encore vivre en ville ?
Oxygène. Constructions sobres, baisse de la densité, utilisation de la terre… L’après-Covid vu par François de Mazières, maire de Versailles et ancien président de la Cité de l’architecture.
Le Point: De nombreux citadins expriment le souhait de s’installer à la campagne après le déconfinement. La ville telle que nous la connaissons a-t-elle encore un avenir? François de Mazières :
Nous vivons une période charnière dans l’histoire de la ville. Le Covid-19 accélère une prise de conscience déjà ancienne. La société de consommation a amené une hyperdensité urbaine. L’État a laissé faire les grandes surfaces. Aujourd’hui, on voit bien qu’un projet tel qu’EuropaCity, le grand complexe de commerces et de loisirs qui devait ouvrir près de Roissy, n’était pas adapté à notre époque. Les Français s’interrogent : quelle société de consommation voulons-nous ? Au nom d’une logique consumériste, on a développé des tours, privilégié les bâtiments sans balcons ni terrasses. Le besoin d’un cadre plus convivial se fait ressentir encore davantage. Les Français aspiraient déjà à une forme urbaine plus écologique. L’épreuve que nous affrontons renforce cette attente.
«On devrait construire les villes à la campagne: l’air y est plus pur», écrivait Alphonse Allais… Une phrase très actuelle, non?
La politique urbaine de l’avenir devra répondre à trois questions qui sont des contradictions : les Français rêvent encore de la ville à la campagne ; ils veulent à la fois le développement économique et l’écologie ; leur modèle reste la maison individuelle alors qu’il nous faut limiter l’étalement urbain. Le télétravail est devenu une réalité appréciée des Français. La crise sanitaire que nous traversons est une occasion exceptionnelle à ne pas manquer pour redessiner les villes, mais aussi pour revoir de fond en comble la politique urbaine de la France.
C’est-à-dire?
Le Covid-19 révèle les travers de la politique urbaine française. Son hypercentralisme, tout d’abord. Et ses changements de cap incessants, ensuite. La politique du logement social concentre tous ces défauts. L’État applique une loi du stock et non du flux. Rendez-vous compte que, parmi les critères d’attribution d’un logement social, on ne tient pas compte du lieu de travail des candidats ! À Versailles, par exemple, l’hôpital ne peut loger son personnel de cette manière. Et après, l’État reproche aux Français de continuer à prendre leur voiture ! Il nous faut revoir absolument cette articulation entre le lieu de travail et le lieu d’habitation. Une politique urbaine efficace doit davantage s’appuyer sur les élus locaux et les organismes de proximité.
Faut-il revoir l’aménagement de notre territoire?
La densité est faible en France. Et pourtant, l’État pousse à la concentration urbaine. Il continue à imposer une pression forte sur l’Île-de-France, qui doit construire 70 000 logements par an. Alors même que les moyens de transport sont sursaturés ! Plutôt que d’intervenir partout, l’État devrait se consacrer à l’aménagement du territoire pour répondre à la relocalisation de certaines activités. Depuis Olivier Guichard, la France n’a plus mené une telle politique. Nous n’avons plus les outils pour le faire.
La nécessité de la « distanciation sociale» va-t-elle provoquer un réaménagement des villes?
Cette préoccupation nouvelle doit nous inciter à revoir la densité urbaine dans notre pays. Cela passe ensuite par l’architecture. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait ailleurs. La Grande-Bretagne, par exemple, a développé toute une forme d’habitat collectif, mêlant petits jardins et grandes terrasses, qui permet à chaque habitant de disposer de sa propre entrée et de son propre espace de liberté. À Montpellier, L’Arbre blanc, une tour du Japonais Sou
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Fujimoto, offre de très ■ grandes terrasses pour tous les logements. Pionnier en matière d’écologie, le quartier Vauban de la ville de Fribourg, en Allemagne, pensé par une communauté d’architectes, est bâti selon une règle qui impose 15 mètres de séparation en vis-à-vis entre les immeubles. La hauteur de chaque bâtiment ne doit pas excéder la distance entre deux constructions.
L’ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine que vous êtes voit-il de nouvelles tendances architecturales se dessiner après la crise?
Avant la pandémie, nous étions déjà en train de revenir à des préoccupations plus anciennes. Frank Lloyd Wright l’avait dit : l’architecture est la rencontre entre un lieu, un climat et le besoin des habitants. « Il faut penser aux petits hommes », affirmait l’architecte finlandais Alvar Aalto. Nous redécouvrons l’héritage de certains urbanistes-paysagistes comme Jean Claude Nicolas Forestier pour mieux articuler la présence des parcs et du construit. Ces héritages architecturaux nous sont précieux en ces temps de remise en question.
Le souci écologique va-t-il encourager certains choix architecturaux?
Je le pense, en effet. On va d’abord mieux prendre en compte les matériaux employés. Le bois est en vogue.
La région du Vorarlberg, en Autriche, en offre une belle illustration. Mais le retour à la pierre massive ou à l’architecture en terre, notamment en brique, s’accélère. La terre sera d’ailleurs le thème de la prochaine Biennale d’architecture et de paysage de la région Îlede-France, à Versailles. Actuellement, on extrait énormément de terre pour la construction du métro du Grand Paris. On pourrait très bien l’utiliser pour construire des logements. Le Suisse Martin Rauch est aujourd’hui le spécialiste le plus reconnu de ces nouvelles architectures de terre et fait de nombreux émules, y compris en France. Cette crise nous incite à « agir local » et à « penser mondial ».
Une autre esthétique se profile-t-elle?
Nous assistons à un mouvement vers l’épure et la simplicité. Je pense en particulier à la consécration tardive, en 2018, par le prix Pritzker – l’équivalent du prix Nobel en architecture – de l’Indien B. V. Doshi et au travail de Wang Shu, premier Pritzker chinois (2012), ou du Chilien Alejandro Aravena (Pritzker 2016). Tous trois ont dessiné des habitats collectifs sobres mais architecturés, intégrés dans des traditions locales. Ce sont les références, mais, derrière, beaucoup d’architectes s’intéressent aujourd’hui à ces questions en France. Nous allons vers une société plus sobre. L’architecture le sera aussi
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« On extrait énormément de terre pour la construction du métro du Grand Paris. On pourrait l’utiliser pour construire des logements. »