Le Point

La nouvelle expansion de l’État

La crise fait naître une demande débridée de dépenses publiques, de dirigisme et de protection­nisme. Il serait dangereux d’y céder.

- Par Nicolas Baverez

Les grandes secousses historique­s se traduisent par une redéfiniti­on du rôle de l’État : la guerre totale de 1914-1918 engendra l’État total ; le krach de 1929 imposa l’interventi­on publique, qui se déploya avec la mise en place des États providence après 1945 ; les chocs pétroliers des années 1970 firent émerger le mouvement de déréglemen­tation, qui favorisa l’expansion désordonné­e des marchés. Moins de douze ans après la crise de 2008, qui réhabilita la régulation du secteur financier, la pandémie de Covid-19 provoque un retour en force de l’État, appelé à répondre à l’urgence sanitaire et à soutenir l’économie en compensant une partie des pertes et en les transféran­t sur le bilan des banques centrales. Elle s’ajoute à la lutte contre les inégalités, le réchauffem­ent climatique ou les menaces terroriste­s pour faire naître chez les citoyens des démocratie­s une très forte demande de protection.

L’appel à la puissance publique s’exprime avec une particuliè­re intensité en France, nation qui s’est construite autour de son État. Il a été légitimé par Emmanuel Macron, qui a martelé la promesse de lutter contre l’épidémie et de protéger les salariés et les entreprise­s quoi qu’il en coûte, tout en soulignant la nécessité de reprendre au marché le contrôle des activités essentiell­es à la vie de la nation. L’épidémie a souligné la vulnérabil­ité de la plupart des démocratie­s et leur faible capacité à gérer les crises – à l’exception de l’Allemagne, de la Suède, d’Israël, de la Corée du Sud ou de Taïwan. Elle impose un réinvestis­sement massif pour améliorer leur résilience.

Pour autant, l’idée de s’en remettre à une nouvelle expansion de l’État, y compris en ranimant l’économie administré­e avec la planificat­ion ou les nationalis­ations, est paradoxale et dangereuse. En effet, il n’y a jamais eu de retrait de l’État dans notre pays, où les dépenses publiques s’élevaient à 56 % du PIB avant l’épidémie. Surtout, l’État a été plus un problème qu’une solution. Il a failli comme responsabl­e de la santé publique et principal producteur de soins à travers les hôpitaux, qui n’ont tenu que grâce à l’héroïsme des soignants. Il a failli comme gestionnai­re de crise en se révélant incapable de remédier à la pénurie de masques, de tests, de lits de réanimatio­n tout en échouant, pour avoir privilégié une solution nationale, à mettre au point une applicatio­n numérique crédible. Il a failli à assurer la continuité de nombre de services publics. Il a failli comme garant de la démocratie en recourant à un état d’urgence sanitaire qui a suspendu les contre-pouvoirs parlementa­ires et la garantie judiciaire des libertés. Il a failli comme ultime recours en accumulant un formidable capital de défiance auprès des Français.

L’État ne s’est montré performant que dans sa fonction d’hélicoptèr­e ventilant les fonds publics, finançant à guichet ouvert les revenus, les emplois, les entreprise­s, grâce à la liquidité illimitée et gratuite mise à dispositio­n par la Banque centrale européenne. Avec un bilan plus que mitigé. La France, avec une récession de plus de 10 % du PIB en 2020, sera l’un des pays les plus gravement touchés (la chute de l’activité atteint 5,8% au premier trimestre 2020, contre 3,8 % dans la zone euro et 2 % en Allemagne), portant la dette publique autour de 120 % du PIB. La pandémie de coronaviru­s s’inscrit ainsi dans la longue chaîne des crises que l’État, qui prétend s’ériger en protecteur de la France et des Français, a échoué à gérer, du krach de 2008 à la vague des migrants en passant par les attentats djihadiste­s. Par contraste, les démocratie­s qui ont le mieux réagi sont celles où l’État est modeste et décentrali­sé, où les finances publiques sont maîtrisées, où l’initiative et l’innovation privées sont encouragée­s, où l’administra­tion se met au service du citoyen au lieu de le soumettre à son arbitraire, où les dirigeants font appel au civisme de la population au lieu de l’infantilis­er et de la punir. Croire que l’État pilotera la sortie de crise et moderniser­a la France relève de la grande illusion. L’État est en effet un grand corps malade, dont la tête est vide et les membres sont atrophiés. La reprise verra culminer les tensions entre le repli à l’intérieur des frontières nationales et l’interdépen­dance des économies et des sociétés, la demande débridée de dépenses publiques et le surendette­ment, le besoin de sécurité et la liberté. Le colbertism­e, le dirigisme, le protection­nisme et le nationalis­me vont avoir la faveur de l’opinion et seront portés par la démagogie de

Les démocratie­s qui ont le mieux réagi sont celles où l’État est modeste et décentrali­sé.

nombre de dirigeants. Il sera vital de ne pas y céder, car ils ■ ont fait la preuve de leur inefficaci­té.

L’État a naturellem­ent un rôle à jouer pour permettre à la France de surmonter cette terrible crise. Mais cela suppose de reconfigur­er l’appareil public, qui s’est coupé de la réalité du XXIe siècle – notamment la révolution numérique – comme de la société, et a perdu sa légitimité en se réduisant à une machine à entretenir des privilèges à grand renfort d’aides et de subvention­s. L’État doit se reconcentr­er sur la gestion des risques et des chocs, ce qui implique de privilégie­r l’anticipati­on et la réactivité, mais aussi de réhabilite­r ses fonctions régalienne­s. Il lui revient de repenser sa fonction de producteur dans la santé et l’éducation à partir de la qualité du service rendu. Il faut mettre fin au sacrifice de l’investisse­ment, de la recherche au profit de l’inflation des effectifs de la fonction publique et des transferts sociaux.

Depuis des décennies, l’État a été aussi impitoyabl­e pour exiger des Français et des entreprise­s qu’ils s’adaptent à des changement­s considérab­les que déterminé à s’exonérer de toute réforme. Il est ainsi devenu pour la nation un démultipli­cateur de risques et d’incertitud­e. Mais l’État, c’est nous : au lieu de tout attendre de lui, reprenons-en le contrôle !

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