En Afrique, des drones au service de la santé
Agiles. Au Ghana, les engins volants livrent des prélèvements de tests de Covid-19.
Le rendez-vous a été fixé à Kayonza, une ville située à une heure trente de route à l’est de Kigali, la capitale rwandaise. Au « pays des mille collines », la visibilité est nette en ce matin de février. Lorsqu’on parvient devant ce vaste bâtiment aux allures de camp militaire, il faut présenter pièce d’identité et autorisation de prise d’images. Nous sommes sur une piste de décollage de la société américaine Zipline, qui a choisi cette ville-carrefour, réputée pour sa forte activité aérospatiale, afin de faire décoller ses drones. Chaque fois qu’un de ces drôles d’engins doit décoller, il a besoin d’une autorisation de vol de l’Office rwandais de l’aviation civile. Quinze minutes après notre arrivée, nous assistons à un décollage. « Trois, deux, un, lancement ! » Catapulté par une rampe de décollage, un drone blanc aux ailes rouges de 1,60 m de largeur prend son envol et s’oriente grâce à un GPS avant de disparaître au large du parc national de l’Akagera, où, sur plus de 100 000 hectares, s’épanouissent rhinocéros noirs, antilopes rouannes et girafes masaï, avant de filer à 145 km/h vers sa destination.
Tout a commencé trente minutes plus tôt, lorsqu’un médecin a passé commande via un formulaire disponible sur Internet, un SMS ou encore un message WhatsApp. Sur place, Zipline met le sang dans un emballage en silicone en respectant la chaîne du froid, avant d’installer le colis dans le drone. Chaque engin peut transporter jusqu’à 1,8 kg dans son ventre ; le colis est surmonté de parachutes en carton recyclable pour amortir le choc de la livraison dans les centres de santé et les hôpitaux de la sous-région. De son côté, le responsable de la commande reçoit un SMS cinq minutes avant l’atterrissage. Une fois à l’approche de son point de livraison, le drone effectue des cercles afin de descendre à une altitude de 15 mètres et de larguer son colis. Plus de 1 million de kilomètres ont été ainsi parcourus depuis 2016, et, aujourd’hui, ce système de livraison s’apprête à proposer des tests de dépistage du Covid-19.
C’est déjà le cas au Ghana, où la start-up créée par Keller Rinaudo, un trentenaire américain passé par Harvard et passionné de robotique, a noué un accord avec le ministère de la Santé. Rinaudo a eu le soutien de la fon
dation Bill et Melinda Gates, tout comme celui de la Gavi, l’alliance internationale pour les vaccins et l’immunisation. Au Ghana, la start-up a montré qu’elle était capable de livrer, outre des poches de sang, des vaccins contre la fièvre jaune, la rougeole ou la méningite, et, tout récemment, des prélèvements de tests de Covid-19. Tout a commencé le 17 avril, lorsque 51 de ces prélèvements effectués dans les hôpitaux d’Atuaa et de Suhum ont été transportés depuis la base d’Omenako – une ville située à 68 kilomètres d’Accra – vers la capitale. Les échantillons ont été emballés conformément aux directives de l’Organisation mondiale de la santé à l’intérieur du ventre de quatre drones, qui ont depuis multiplié les allers-retours entre les hôpitaux situés en zone rurale et Accra et Kumasi, la deuxième ville du pays.
Auparavant, l’acheminement des prélèvements se faisait majoritairement en camion et pouvait tarder des heures, voire des jours. Avant de prendre la route, le véhicule devait avoir collecté un nombre suffisant d’échantillons. Les drones décollent et atterrissent dans les centres de distribution de Zipline, ne nécessitant aucune infrastructure supplémentaire dans les cliniques qu’ils desservent. Et si on en perdait un en chemin? « Le plan de vol est intégré au drone, qui peut ensuite communiquer par ondes radio sur la fréquence de 2,4 GHz, en s’appuyant sur le réseau cellulaire ou bien, s’il se retrouve perdu en pleine zone blanche, en recourant à une liaison satellitaire grâce à l’opérateur Iridium. Résultat, un pilote au sol peut superviser jusqu’à 10 drones en même temps », explique l’expert en aéronautique François Chopard, ancien d’Airbus et de l’US Air Force, qui a visité le centre de recherche de Zipline à Half Moon Bay, en Californie.
Pour le Ghana Health Service, qui a repertorié 1,52 % de cas positifs sur les 68 000 tests déjà réalisés, ce moyen de transport alternatif va se révéler de plus en plus précieux. Les autorités sanitaires peuvent en effet réagir plus rapidement lorsqu’elles ont identifié un foyer de contamination. Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies a expliqué vouloir mettre 1 million de tests à la disposition des pays africains. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau au regard des 1,2 milliard d’habitants du continent. « Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Testez, testez, testez », a clamé le patron de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Approvisionnement rapide. L’apport des drones n’est-il qu’un gadget dans ce combat ? « Cela peut faire gagner un temps précieux dans les zones difficiles d’accès, explique l’immunologue Yvonne Mburu, fondatrice du réseau professionnel Med In Africa. Cette solution pourrait intéresser d’autres pays africains. » Zipline réfléchit d’ailleurs à un déploiement au Kenya, en Éthiopie ou encore au Nigeria. Quid de l’Afrique du Sud, le pays du continent le plus touché par la pandémie ? Sur place, les drones sont pour l’instant essentiellement utilisés pour informer les citoyens
– comme dans la ville de Greater Tzaneen, dans le nord du pays, avec la société locale Ntiyiso Aviation Services. De son côté, l’État indien du Maharashtra réfléchit également à un déploiement de drones « pour permettre aux 120 millions de citoyens d’être à quelques minutes d’un approvisionnement en médicaments ». Les livraisons n’ont pas commencé, mais l’initiative pourrait intéresser le Serum Institute of India, un des partenaires de l’institut Pasteur et de l’université de Pittsburg dans la recherche de vaccins. En attendant de s’attaquer aux États-Unis ? Au pays de l’Oncle Sam, la livraison par drone a certes commencé avec Wing – une filiale d’Alphabet, la maison mère de Google –, mais uniquement pour les médicaments obtenus sans ordonnance. Et en France ? « Cela pourrait être très utile dans les zones rocailleuses, à condition d’éviter les vols en cas de forte gelée ou de chute de neige et de pouvoir livrer sur une surface d’au moins un demi-hectare », tempère François Chopard.
En attendant, c’est un autre projet qui a tapé dans l’oeil de Grant Shapps, le secrétaire d’État aux Transports de Boris Johnson. L’idée est de relier les villes portuaires, comme Southampton et Portsmouth, aux îles limitrophes grâce aux vols de Windracers Ultra UAV, des engins fonctionnant à l’essence et capables de transporter jusqu’à 100 kilos de matériel médical. Le 27 avril, donc, des livraisons ont eu lieu à Newport, sur l’île de Wight, pour l’hôpital St Mary’s notamment. Une simple expérimentation pour l’instant, mais qui pourrait changer la vie des soignants de cette île de 380 kilomètres carrés, alors que le nombre de ferrys qui la desservent a été réduit de moitié depuis le début de la pandémie
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Plus de 1 million de kilomètres ont été parcourus depuis 2016.