Le plan des Gracques pour ne pas se laisser distancer par l’Allemagne
Pour le groupe de réflexion, poil à gratter social-libéral, Macron doit aller plus vite. Sans dilapider l’argent que nous n’avons pas.
C’est la grenouille de la social-démocratie française. Les Gracques, ce groupe de hauts fonctionnaires et chefs d’entreprise dont l’inspiration doit beaucoup à Michel Rocard, a tendance à se manifester dès que la gauche déraille. Nés en 2007 pour s’inquiéter des errements programmatiques de Ségolène Royal, alors candidate à la présidentielle, ils s’étaient publiquement opposés aux premières orientations de François Hollande, notamment à la taxe de 75 % sur les hauts revenus. Si la grenouille coasse de nouveau, cela signifie-t-il que le « social-libéral » Macron est soudain devenu un socialiste façon 1981 ? Après avoir, dans l’urgence, « nationalisé les salaires », comme il l’a dit au Point (n° 2486), Emmanuel Macron va-t-il se convertir à ce qu’il dénonçait autrefois, quand, à propos du programme économique de Hollande, il parlait de « Cuba sans le soleil » ? Ce serait paradoxal pour lui, qui fut d’ailleurs proche des Gracques.
Ces derniers disent toutefois que nous n’en sommes pas là. Il y a trois semaines, ils avaient publié un rapport sur les fonds propres des entreprises. Cette fois-ci, ils s’attaquent à la relance économique en général. Au coeur de ce document précis et raisonnablement optimiste que révèle Le Point se trouve néanmoins un avertissement : attention à la relance keynésienne généralisée, dont nous n’avons pas les moyens. « Notre endettement excède de 40 points de PIB celui de l’Allemagne, alors qu’ils étaient encore comparables en 2010 », précise la note. Ce serait en outre inefficace, les auteurs relevant que l’argent consenti lors de la crise des Gilets jaunes s’est largement transformé en épargne…
Les Gracques proposent donc des mesures ciblées afin de relancer la croissance en combinant de l’argent public et la mobilisation de l’épargne accumulée pendant le confinement (55 milliards d’euros). Le soutien budgétaire serait plus concentré sur les populations les plus pauvres, celles dont la propension à consommer est la plus importante, et les moins protégées par le modèle social français, comme les commerçants, artisans, indépendants et professions libérales, dont ils recommandent d’améliorer le fonds de solidarité.
Surtout, selon les Gracques, il faut aller beaucoup plus vite. Lors d’une visioconférence sur Zoom, ils proclament tous l’état d’urgence économique. « Nous sommes moins partis d’une critique du gouvernement que d’une comparaison avec l’Allemagne, qui redémarre plus vite », explique Ariane Obolensky, l’ex-présidente de la Fédération bancaire française. « L’Allemagne a annoncé en même temps son plan d’urgence et son plan de relance, contrairement à la France, souligne Lionel Zinsou, figure de la finance française et ancien Premier ministre du Bénin. Et, en faisant sauter les verrous sur les aides d’État, elle est en train de reproduire ce qu’elle a réalisé au moment de la réunification, avec l’intégration des Länder de l’est. » Bernard Spitz, président des Gracques, relève, lui, que s’est formé outre-Rhin « très vite un consensus entre le gouvernement, les entreprises et les syndicats pour élaborer un scénario de rebond. »
Dès le 11 mai, « c’est bien un sprint économique qui est lancé pour rattraper le temps et la croissance perdus », annoncent les Gracques. Philippe Crouzet (qui vient de quitter la tête de Vallourec) estime ainsi qu’il « y aura un rebond technique, avec la reconstitution des stocks, mais tout cela pourrait retomber très vite ». Un défi pour l’État, qui, comme le rappelle le financier Guillaume Hannezo, « sait encore réglementer, mais n’est plus habitué à le faire »… En gagnant quelques mois, la production française pourrait, selon les Gracques, retrouver son niveau de 2019 dès 2022. Juste à temps pour l’élection présidentielle…
Extraits du rapport « Réussir la reprise dès le troisième trimestre »
Les pièges d’une relance keynésienne généralisée
Deux écueils : celui d’une relance générale et indifférenciée de la demande, qui serait coûteuse et peu efficace. Inutile pour les plus hauts revenus, elle serait d’un faible effet de relance sur la consommation pour les classes moyennes, dont la propension marginale à consommer est limitée à court terme – rappelons qu’en juin 2019 près des deux tiers du supplément de pouvoir d’achat apporté par les mesures mises en oeuvre pour répondre à la crise des Gilets jaunes étaient encore thésaurisés sous forme d’épargne.
Celui de la poursuite indéfinie d’un soutien généralisé de l’offre (chômage partiel et prêts garantis), qui constitue une réponse pertinente pour « geler » temporairement l’économie mais ne peut être durablement prolongé en sortie de confinement, au risque de grever excessivement les finances publiques et de voir se multiplier les « entreprises zombies », telles celles qui ont durablement pesé sur la productivité japonaise après l’explosion de la bulle immobilière et boursière.
Tout lancer au mois de mai
Attendre la rentrée reviendrait pour le gouvernement à acter une récession à deux chiffres en 2020. En effet, l’hypothèse gouvernementale d’un recul du PIB de 8 % sur l’ensemble de l’année 2020 suppose un retour de la production à son niveau d’activité de fin 2019 dès septembre, ce qui paraît exclu en l’absence de mesures immédiates de soutien à la reprise. À cette fin, un nouveau projet de loi de finances rectificative devrait être déposé dès le mois de mai.
En outre, une production nationale ralentie risque d’augmenter les importations venant de pays mieux et plus vite déconfinés que nous, au sein même de l’Union européenne ou ailleurs. Rappelons que le degré de paralysie de l’économie est beaucoup plus faible en Allemagne, en raison d’un confinement moins strict : cela se traduit par un niveau d’activité plus élevé dans de nombreux secteurs clés, du transport de fret (100 % d’activité, contre 60 % en France) à l’automobile (20 % d’activité, contre 10 % en France), en passant par le textile (60 % d’activité, contre 30 % en France) ou encore la construction (70 % d’activité, contre 20 % en France). La spécialisation géographique de nos exportateurs est également un handicap : les entreprises françaises sont davantage exposées aux marchés du sud de l’Europe, qui ont beaucoup plus chuté que ceux du nord et mettront davantage de temps à redémarrer.
Six mois de soldes
Cette mesure de nature réglementaire ne coûte rien. Elle part du constat que le second semestre doit être fait de six mois de soldes, dans un contexte où le coût marginal du client supplémentaire n’a jamais été aussi bas et où de multiples secteurs ont des stocks à écouler.
Un « chèque déconfinement »
Sur le modèle des « chèques vacances », qui bénéficient déjà à près de 4,5 millions de Français, des « chèques déconfinement » pourraient ainsi être proposés à près de 70 % des ménages, pour un montant maximum variant de 300 à 700 euros selon la composition du foyer, avec un cofinancement public s’étalant de 10 à 100 % selon le niveau de revenu. (…) Leur durée de validité serait relativement courte
« Attendre la rentrée reviendrait pour le gouvernement à acter une récession à deux chiffres en 2020. »
(six mois contre deux ans en général), afin de garantir un effet déclencheur maximal pendant la phase de rebond. (…)
Grâce au fléchage, le chèque pourrait stimuler le secteur du tourisme en France cet été, en particulier le tourisme social, où la France possède le plus grand parc de campings d’Europe – et par exemple permettre le départ en vacances d’enfants de milieux défavorisés qui ont été soumis au confinement dans des espaces souvent réduits. (…)
Leur déploiement s’appuierait sur les nouvelles technologies pour permettre une montée en charge rapide (…). C’est une entreprise française qui a été chargée de mettre en place en quelques jours les titres alimentation à destination des enfants défavorisés au Royaume-Uni, sous forme de QR code, utilisables dans un réseau défini de commerces alimentaires.
Une prime à la reconversion automobile renforcée, y compris pour les deux-roues Rappelons que si la filière automobile ne représente que 1 % du PIB en France, ses effets d’entraînement sur l’activité sont très importants: d’après l’Insee, 1 euro de valeur ajoutée générée par le secteur automobile se traduit par 3,10 euros de valeur ajoutée générée dans le reste de l’économie. (…)
La prime à la conversion pourrait être augmentée de 1 500 euros pendant quatre mois à compter du 1er juin, ce qui la porterait à 7 500 euros au maximum dans le cas de l’achat d’un véhicule électrique neuf, incluant le bonus écologique de 6 000 euros, en échange d’un véhicule thermique ancien. (…)
Les conditions de revenu seraient temporairement supprimées pour que la mesure soit simple et lisible.
Il est proposé en outre d’étendre le bonus écologique aux véhicules hybrides à hauteur de 2 000 euros (contre 6 000 euros pour les véhicules électriques) et d’inclure les deux-roues électriques. Le supplément de prime de 1 500 euros serait ramené à 1 000 euros après quatre mois et s’éteindrait au bout de sept mois, ayant ainsi couvert les 3e et 4e trimestres.
On pourrait ainsi viser un impact de 500 000 véhicules, dont la vente serait anticipée sur le 2e semestre 2020, ce qui est le but visé, ainsi qu’une réduction supplémentaire des émissions de CO2 de 700 00 tonnes environ.
Une prime à l’embauche pour sauver la « génération 2020 »
Au-delà du soutien traditionnel aux plus fragiles, des actions ciblées sur les «nouveaux précaires» de la crise doivent être mises en oeuvre. Il s’agit d’abord des titulaires de contrats courts (intérim, CDD), qui représentent 17 % de l’emploi total, ainsi que des 700 000 jeunes terminant cette année leur formation initiale, qui vont se présenter sur le marché du travail en pleine contraction de celui-ci. (…) Pour cela, nous avons déjà recommandé la mise en place d’une « prime à l’embauche », les économistes s’accordant sur son efficacité en bas de cycle, pour faciliter le renouvellement des contrats courts et soutenir l’emploi. Une telle prime pourrait être bonifiée pour les premières embauches de jeunes en sortie de formation initiale afin de faciliter l’insertion sur le marché du travail de la « génération 2020 ».
Un effort de l’ordre de 1 point de PIB
Au total, le coût ex ante de l’ensemble des mesures proposées dans la présente note pour soutenir la reprise serait de 0,8 % point de PIB, dont une partie pourrait être étalée sur plusieurs exercices (amortissement exceptionnel, prêt à taux négatif…) et une autre serait compensée par des économies de dépenses et des recettes.
La situation structurelle des finances publiques ne serait pas affectée, compte tenu de la nature ponctuelle des dépenses.
S’y ajouterait une mesure de trésorerie sans coût budgétaire pérenne consistant à anticiper certains investissements publics prévus au niveau de l’État au cours des exercices suivants, pour un montant qui amènerait l’effort de soutien global en 2020 à un niveau proche de 1 % du PIB.
L’effort budgétaire supplémentaire permettrait de combler un tiers de l’écart avec le plan de soutien allemand, dont l’impact sur le déficit public s’élève d’après le FMI à 4,4 % du PIB, contre 1,9 % du PIB en France
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« D’après l’Insee, 1 euro de valeur ajoutée générée par le secteur automobile se traduit par 3,10 euros de valeur ajoutée générée dans le reste de l’économie. »