Le journal de bord d’une sauveteuse d’entreprises
Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire, raconte son combat et… les lourdeurs de l’État.
La première chose à savoir est qu’Hélène Bourbouloux est née de bonne humeur. Parfois elle fait sa « Bourbouloux », elle s’enflamme et sort le lanceflammes, parfois elle fait des blagues. Elle est vivante, et son métier consiste à maintenir vivantes des entreprises en difficulté. Sur ce point, une autre chose est à savoir, c’est qu’elle fait partie des meilleurs dans son domaine. Solocal, Vivarte, FagorBrandt, CGC, Rallye-Casino… Elle en a réanimé des sociétés, en renégociant leurs dettes auprès de redoutables financiers, en limitant la casse sociale… Ah, la claque quand, de sa voix tonnante, chantante, depuis sa Corrèze natale – où elle a trouvé refuge avant l’annonce du confinement, avec son époux et son chien –, l’administratrice judiciaire nous dit : « On est toujours dans le souffle, dans la phase initiale. Avec le déconfinement, la poussière qui est portée par le souffle va retomber. Toutes les entreprises vont subir des difficultés. Je sens beaucoup d’anxiété, et cela n’est jamais source de productivité, de valeur… » Depuis le 9 mars, et les premiers dossiers d’entreprises impactées par le ralentissement de l’activité en Asie, elle répond aux « urgences », sept jours sur sept, entre dix et dix-huit heures par jour. Au bout du fil, des dirigeants « combatifs », mais au moral qui « s’étiole ». «C’est très pénible pour eux, car leur job, c’est de gérer et donc de prévoir. Là, essayez de voir l’horizon… Moi, je ne pense pas qu’il y aura un retour à la normale. Ou plutôt, je pense qu’une fois retrouvé un temps de croisière, on sera à –20% d’activité. Des premières défaillances très importantes sont à attendre dès juin. Il y aura des restructurations sociales. D’ailleurs, il faut qu’elles arrivent très vite. Oui, je sais, mes propos sont choquants. C’est dur en effet d’expliquer que pour sauver 70 personnes, il faudrait en licencier 30 très vite, et si l’on ne peut le faire très vite, on n’en sauvera que 50. Il faut être à la fois dans l’empathie et la pédagogie, mais en même temps agir à la serpe dans le déploiement des mesures. Ça va, je ne vous déprime pas trop ? »
Le jour où je me réveille tétanisée
Nous sommes un samedi, et le samedi, depuis le début du confinement, c’est pédagogie. Dans son agenda, Hélène Bourbouloux case ce jour-là des rendez-vous avec des cercles de réflexion, des organisations professionnelles en quête de son ressenti d’urgentiste… et avec nous. Exceptionnellement, elle s’exprime à coeur ouvert, car la gravité de la situation l’exige. Elle a accepté de se plonger dans ses trois épais cahiers de notes, où, jour après jour, elle consigne tout depuis le début de la crise. On apprend qu’elle a elle-même eu le Covid, en mars. Le 17 mars, après l’annonce du confinement, dans sa ferme près de Tulle, elle se lève avec la « gueule de bois », convaincue d’un « effondrement » imminent. À tel point qu’elle envoie à ses proches un SMS à déprimer les plus optimistes : « Je suis tétanisée, je suis très très inquiète pour le pays. Nous allons vivre un tsunami économique et politique après la crise sanitaire et les Français n’y sont pas préparés. On en prend pour dix ans au minimum, avec le retour du chômage… Le stock de dettes créé au niveau des entreprises sera difficilement soutenable, et insoutenable au niveau de la collectivité. C’est une fin de cycle […]», écrivait-elle. Elle nous relit son SMS. « C’était un peu déprimant, je me suis ressaisie après ! »
Il faut dire qu’ensuite elle a dû chapeauter les problèmes de dizaines et de dizaines d’entreprises, représentant près de 80 000 salariés. Elle a dû aussi s’assurer que les 70 collaborateurs de son cabinet et ses 10 associés étaient bien équipés pour télétravailler, sans compter, le comble pour un administrateur judiciaire, le fait de garder un oeil sur la trésorerie de sa propre société. « J’ai parfois eu jusqu’à 15 réunions par jour, 500 e-mails… » Les premières entreprises qui rencontrent des difficultés sont celles du commerce de détail. Dès la semaine du 23 mars, tout en haut des dossiers à traiter, remonte le cas de l’enseigne d’habillement Orchestra, qui enregistre une dégradation très forte.
Le jour où je réalise que le PGE a fondu
Très vite, des sociétés du bâtiment et de l’industrie viennent toquer à sa porte. On l’appelle aussi pour de simples conseils, pour obtenir un prêt garanti par l’État (PGE). La tension est palpable en ce début d’avril. Les entreprises ont bien mis en paiement les salaires de leurs collaborateurs, mais elles attendent toujours des aides de l’État en place depuis quinze jours. C’est au tour de La Halle de solliciter Hélène Bourbouloux. Elle connaît bien cette chaîne de distribution, car elle avait accompagné par le passé le groupe Vivarte,