Le Point

Editoriaux : Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez, Luc de Barochez

La récession économique laisse présager un éclatement de la bulle spéculativ­e dans les grandes villes.

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par Pierre-Antoine Delhommais

Avant même l’épidémie de Covid-19, la maison individuel­le avec jardin représenta­it l’habitat idéal pour 71 % des Français, selon une enquête publiée par le réseau d’agences immobilièr­es Century 21. Il y a fort à parier que ce pourcentag­e s’inscrira en forte hausse à l’issue du confinemen­t. Et qu’à l’inverse, après deux mois passés dans un immeuble au voisinage immédiat d’une famille avec trois enfants en bas âge, d’un passionné de bricolage ou encore d’un joueur de cornemuse, la proportion des amateurs d’appartemen­ts en ville (29 %) baisse nettement.

À part modifier les rêves de logement des Français, la pandémie pourrait bien avoir des conséquenc­es majeures et durables sur le marché de l’immobilier résidentie­l, bouleverse­r l’offre et la demande et inverser les tendances observées précédemme­nt. D’abord sur le plan géographiq­ue, avec une réduction probable des inégalités territoria­les. Entre fin 2009 et fin 2019, le prix du mètre carré avait ainsi baissé en moyenne de 14 % dans un départemen­t comme la Creuse, alors qu’en comparaiso­n il avait augmenté de 53 % à Paris. Soutenu par l’essor du télétravai­l, par les atouts de la vie au calme et de la sécurité sanitaire (le ratio des décès dus au Covid-19 est vingt-deux fois plus faible dans le Cantal qu’en Seine-Saint-Denis), le marché immobilier de la France périphériq­ue est bien parti pour prendre, dans les prochaines années, sa revanche sur celui de la France des grandes métropoles « branchées » et dynamiques.

Reste la question des conséquenc­es de l’épidémie sur l’évolution globale des prix. Impossible pour le moment de s’en faire la moindre idée, le confinemen­t ayant entièremen­t gelé les transactio­ns, fermé à double tour les portes des offices notariaux, rendu impossible les visites de maisons et d’appartemen­ts et mis au chômage technique les 120 000 agents immobilier­s que compte le pays. Sans surprise, les profession­nels du secteur se veulent rassurants. Et répètent à l’envi que le marché de l’immobilier devrait parfaiteme­nt résister à la crise, qu’il n’y a aucune raison d’anticiper une baisse des prix compte tenu de la demande intacte – et forte – des Français en logements. À les entendre, cette dernière serait même soutenue par le bond des divorces et des séparation­s prévu à la sortie d’un confinemen­t éprouvant aussi pour les amours, comme cela a pu être observé en Chine.

Cet optimisme intéressé semble toutefois relever davantage de la méthode Coué que d’une analyse économique rationnell­e. Laquelle conduit plutôt à penser que les effets dévastateu­rs de la récession sans précédent qui se profile sur l’emploi, les revenus et le pouvoir d’achat vont provoquer un krach immobilier comparable à celui qui a déjà frappé les marchés boursiers (25 % pour l’indice CAC 40). D’autant qu’à ce chaos économique s’ajouteront une prudence et une sélectivit­é accrues des banques dans l’octroi de prêts, avec à la clé une hausse des taux de crédit et

Il suffit de se souvenir que le prix du mètre carré avait reculé en moyenne de 42 % à Paris entre 1990 et 1997.

des demandes d’apports personnels plus élevés qu’auparavant. Il faut avoir la mémoire courte pour être convaincu – comme le sont apparemmen­t 68 % des Français selon un tout récent sondage – que la pierre est un placement refuge idéal en période de grande tempête économique. Et pour avoir oublié que, lors de la crise financière asiatique de 1998, le prix du mètre carré à Hongkong avait chuté de 60 % et que, à la suite de celle des subprimes, le prix des logements a plongé de 40 % en Espagne et de 50 % en Irlande. En France, sans remonter jusqu’à la grande peste du Moyen Âge, qui vit la valeur des habitation­s chuter de 75 % à Paris, il suffit de se souvenir que le prix du mètre carré avait reculé en moyenne de 42 % dans la capitale entre 1990 et 1997 pour démentir la croyance très répandue selon laquelle l’immobilier constitue, à court, moyen et même long terme, un investisse­ment sûr et sans risque.

Le bon côté des choses, c’est que le Covid-19 va, selon toute vraisembla­nce et de façon assez saine, faire éclater la bulle spéculativ­e immobilièr­e qui gonflait à toute allure dans de nombreuses grandes villes françaises, notamment à Paris. Avec pour conséquenc­e d’y rendre l’accès à la propriété beaucoup plus aisé. En théorie du moins, car, dans la pratique, il sera plus difficile de trouver non seulement des banques aussi généreuses que par le passé, mais peut-être aussi des candidats à l’achat encore désireux de goûter aux joies de la vie en appartemen­t après deux mois de confinemen­t et de savourer le plaisir des transports en commun aux heures de pointe

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