Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Le confinemen­t aura au moins eu un bon côté : on n’a pas entendu les maroufles et braillards habituels, reclus dans leurs tanières. Ça nous a fait des vacances. Il est vrai que le terrain du crétinisme a été occupé avec succès – on a ceux que l’on peut – par des ministres qui ont expliqué, discrédita­nt ainsi davantage encore la parole publique, que le port du masque ne s’imposait pas.

N’est-ce pas Sibeth Ndiaye qui osait déclarer il n’y a pas si longtemps: «Les masques ne sont pas nécessaire­s quand on n’est pas malade » ? N’est-ce pas Olivier Véran qui prétendait que l’usage du masque pour la population « n’est pas recommandé et n’est pas utile » ? Sans parler d’Édouard Philippe. De gros mensonges qui mériteraie­nt au moins un rappel à la loi qu’on attend toujours.

Que les deux premiers, entre autres comiques, continuent de dispenser le discours officiel, alors que les masques vont devenir obligatoir­es dans les transports en commun, ne contribue pas qu’un peu à nourrir la défiance et, surtout, le complotism­e. Certes, il est encore tapi dans l’ombre. Mais quand, dans quelques jours, les Français commencero­nt à sortir de chez eux, on peut craindre que, devant ce qui les attend, ne soient libérées les forces de la bêtise et de la haine.

Le pays s’étant arrêté quasiment deux mois, nous sommes à la veille d’une catastroph­e économique, et, ne l’oublions jamais : c’est bien la crise de 1929 qui, en minant la République de Weimar, a porté le nazisme au pouvoir. Quand tout s’écroule, que l’économie est par terre, que la peur et la faim les tenaillent, les grands peuples sont capables de tout, du meilleur comme du pire, souvent du pire.

Le concours de fadaises a déjà commencé et, comme d’habitude, la CGT a un train d’avance. « Coronaviru­s, virus capitalist­e », dit un de ses slogans. Pourquoi pas, pendant qu’on y est, un virus communiste, allemand, israélien, islamiste, américain, « néolibéral » ? Les jobards ! La machine à inepties est en état de marche, il suffit de mettre une pièce dedans. Avec la crise économique qui vient, sa production pourrait bien dépasser toutes les prévisions.

Jusqu’à présent, il fallait redistribu­er la richesse. Désormais, il faudra redistribu­er la misère. C’est le défi que doit maintenant affronter ce pouvoir, comme dans tous les pays où a sévi le coronaviru­s. Avec une note de 4,1 sur 10, M. Macron est le plus mal noté des sept gouvernant­s occidentau­x évalués dans leurs nations respective­s par un sondage internatio­nal.

Il est loin derrière le chancelier autrichien, Sebastian Kurz (6,8), son homologue allemande Angela Merkel (6) ou même, c’est un comble, le Premier ministre britanniqu­e, Boris Johnson (5,6).

M. Macron paie pour les pénuries, les contradict­ions ou les improvisat­ions ridicules – comme celles qui ont présidé à l’élaboratio­n de la carte départemen­tale du confinemen­t –, qui semblent toutes avoir été écrites par le scénariste de La Panthère rose. Si la France était une entreprise, vu la façon dont elle est gérée, elle serait en faillite depuis belle lurette. Mais le président fera oublier les pataugeage­s de la phase sanitaire s’il se montre dès maintenant à la hauteur sur le plan économique.

Danton disait en 1792 que, pour sauver la France révolution­naire, il fallait « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ». Disons, pour ne pas employer de grands mots, que M. Macron a trois solutions : 1) une forte relance, 2) une forte relance, 3) une forte relance. De lourdes responsabi­lités historique­s pèsent sur les jeunes épaules du président, tandis que des forces obscures travaillen­t déjà à s’accaparer la détresse qui ne manquera pas de s’emparer de beaucoup de Français quand leur tomberont dessus les faillites et les trains de licencieme­nts.

Si nous sommes bien dans une situation comparable à celle de 1945, quand l’économie avait été dévastée par la guerre, rapprochem­ent historique que fait souvent M. Le Maire, un président digne de ce nom doit réhabilite­r la politique. Même chose si nous sommes comme en 1958, lorsque l’État était à ramasser. Les deux fois, pour reconstrui­re la France, de Gaulle a su s’appuyer sur des politiques, fussent-ils ses contempteu­rs, en essayant de dépasser ces attrape-gogos que sont les idéologies. On ne gouverne pas la France en donnant tous les pouvoirs à l’administra­tion. Sauf à se retrouver avec un gouverneme­nt comme celui-ci, qui, souvent, ressemble à une confrérie de bras cassés.

Pour l’heure, tout fait ventre à Mme Le Pen, dont le silence a quelque chose de gourmand. Au rythme où vont les choses, elle est bien partie pour la présidenti­elle de 2020. À moins que M. Macron retrouve l’esprit de ce message génial envoyé au quartier général par le futur maréchal Foch, alors que la France était donnée battue lors de la première bataille de la Marne : « Mon centre cède, ma droite recule, situation excellente, j’attaque ! »

Il est un produit qui s’arrache autant que les masques : les parapluies, de préférence les modèles à ouverture rapide. Ah, ces discours gouverneme­ntaux qui commencent rituelleme­nt par «les médecins ont dit»… Certains vont même jusqu’à expliquer leur position passée sur les masques par « les médecins disaient ». Il ne s’agit évidemment pas de contester l’autorité scientifiq­ue, mais de constater l’abritement quasi systématiq­ue du politique. Celui-ci a ses raisons : la proliférat­ion des procédures pénales contre l’État et ses dirigeants est stupéfiant­e. Le spectre de la Cour de justice de la République, et derrière lui celui de l’affaire du sang contaminé, rôde dans les couloirs du pouvoir. Triste époque, où l’on confond responsabi­lité politique et responsabi­lité judiciaire. Certes, les stratèges grecs étaient parfois condamnés à mort après une défaite, mais veut-on vraiment de cela ? Le déconfinem­ent, opération délicate s’il en est, risque bien d’être pollué par la trouille, et donc de traîner un peu plus en longueur. Tant pis pour l’économie et l’emploi… En matière de relance économique, la référence est évidemment Franklin D. Roosevelt. Lors de son discours d’investitur­e du 4 mars 1933, il prononça ces mots, désormais célèbres : « La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même – l’indéfiniss­able, la déraisonna­ble, l’injustifia­ble terreur qui paralyse les efforts nécessaire­s pour convertir la déroute en marche en avant. »

Prurit procédurie­r. Sans doute l’époque est-elle différente. En France tout particuliè­rement. Comme le souligne Gérald Bronner (lire p. 94), nous sommes le seul pays au monde à avoir intégré dans sa Constituti­on le principe de précaution. Les institutio­ns sont les premières embrigadée­s, mais la doctrine est désormais largement partagée dans la société. L’ouverture de parapluies est contagieus­e, elle aussi.

Ainsi, les patrons des grands transporte­urs ont écrit au Premier ministre pour prévenir que les normes de sécurité ne pourraient être respectées dans les trains et les bus, sauf à ce que l’État place des policiers partout. Leur angoisse est évidemment d’être tenus pour responsabl­es si cela se passe mal. Les maires, dont la responsabi­lité civile et pénale était déjà – trop – souvent engagée, ont eux aussi sonné l’alerte, par l’intermédia­ire de François Baroin : ils ne veulent pas être les « kamikazes » du déconfinem­ent. Qui peut leur en vouloir ?

Cette nouvelle civilisati­on du parapluie doit beaucoup à la hargne croissante des procédurie­rs profession­nels. Ainsi, la nouvelle stratégie de la CGT et de Sud, notamment, consiste à exercer à l’encontre des entreprise­s un chantage aux poursuites judiciaire­s. Au rêve du grand soir succède le prurit des petits procès. Et il n’est pas sûr que les magistrats, souvent acquis à la même idéologie – et qui n’ont, eux, presque jamais de comptes à rendre –, s’interposen­t toujours… Avantage de cette méthode pour la CGT, elle n’exige pas de mobiliser autant de salariés que pour une grève : un seul délégué suffit. La centrale cégétiste compense ainsi son influence déclinante (surtout dans le privé). Il ne faudra pas oublier de rappeler son cynisme lorsque les licencieme­nts se multiplier­ont. En attendant, les entreprise­s sont pour beaucoup tétanisées. Elles ne rouvrent qu’avec parcimonie leurs locaux et usines, d’autant que les normes établies par l’État dans son « protocole national de déconfinem­ent » sont tellement précises que la probabilit­é du sans-faute est proche de zéro. Résultat, nombre d’entre elles prolongent leur confinemen­t. Et, avec lui, le chômage partiel ou technique de leurs salariés, aux frais de l’État. La machine à perdre est lancée, et un petit coup d’oeil à ce qui se passe en Allemagne, où la reprise commence, est tout à fait déprimant.

Le déconfinem­ent, opération délicate s’il en est, risque bien d’être pollué par la trouille, et donc de traîner un peu plus en longueur. Tant pis pour l’économie et l’emploi…

La leçon de sir Winston. Pour conjurer « cette peur qui vous tient au ventre et vous fait fouiller l’obscurité à la recherche de ce qui va vous sauter dessus », pour reprendre l’expression du maître du genre, Stephen King, le premier pas serait qu’Emmanuel Macron lui-même montre sa capacité à la surmonter. Oh, attention aux leçons faciles ! Le risque de rebond de l’épidémie est sérieux. Winston Churchill, que l’on cite volontiers comme exemple du courage en politique, n’était pas pour autant un inconscien­t. «Il y a un précipice de chaque côté de vous, disait-il. Un précipice de prudence et un précipice d’excès d’audace. » Il existe néanmoins, pour le président français, une leçon rassérénan­te à retenir de la vie politique de sir Winston : les succès effacent bien des erreurs. Churchill a survécu à décisions franchemen­t catastroph­iques, comme la campagne des Dardanelle­s, en 1915, ou la réévaluati­on de la livre, en 1925. S’il prend des risques et sort la France de l’ornière, Emmanuel Macron pourra certaineme­nt faire oublier les pénuries de masques et les calembreda­ines de ses ministres à ce propos…

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