Éditoriaux : Luc de Barochez, Gérald Bronner, Nicolas Baverez
Aujourd’hui, Hongkong. Demain, c’est sur Taïwan que s’abattra la main de fer de Xi Jinping, bien résolu à faire triompher son socialisme liberticide.
Profitant de la pandémie qui accapare l’attention mondiale, la Chine enterre l’autonomie de Hongkong. Le projet de loi présenté le 22 mai par Pékin tend à interdire toute « trahison, sécession, sédition et subversion » dans l’ancienne colonie britannique. Le Parti communiste chinois veut réduire au silence les militants démocrates qui avaient manifesté par centaines de milliers avant l’apparition du coronavirus et qui viennent de reprendre leurs protestations.
Le message liberticide envoyé par le président chinois, Xi Jinping, va bien au-delà de Hongkong. Il nous concerne directement. Pour mesurer à quel point les Occidentaux se sont abusés sur la Chine, il faut remonter à 1997. Cette année-là, la Grande-Bretagne rétrocède la colonie à Pékin. L’accord stipule que pendant un demi-siècle, jusqu’en 2047, les citoyens y jouiront d’un « haut degré d’autonomie » et conserveront leurs libertés, inaccessibles aux habitants du continent.
« Un pays, deux systèmes », proclamait le modernisateur de la Chine contemporaine, Deng Xiaoping, décédé quelques mois avant la restitution. Les Occidentaux se rassuraient en se disant qu’en cinquante ans la Chine continentale aurait le temps de s’insérer dans la mondialisation et de se démocratiser – à l’époque, beaucoup étaient persuadés que les deux allaient de pair.
À mi-parcours, le réveil est rude. En huit ans de pouvoir, Xi Jinping a fait tomber une chape de plomb comme son pays n’en avait plus connu depuis la « révolution culturelle », dans les années 1960. Il a mis la population en coupe réglée grâce à un arsenal technologique hors de portée de ses prédécesseurs, qui inclut l’intelligence artificielle, le big data, la vidéosurveillance, la reconnaissance faciale et le contrôle absolu des réseaux sociaux.
Xi veut étendre sa main de fer aujourd’hui à Hongkong, demain à Taïwan. L’île rebelle vient de faire la preuve qu’une démocratie libérale pouvait lutter contre le coronavirus aussi efficacement qu’une dictature. Pour le président chinois, le défi est insupportable. Le gouvernement de Pékin, qui entend depuis des années contraindre Taipei à une réunification « pacifique », a pour la première fois omis l’adjectif dans son rapport annuel à l’Assemblée nationale populaire. Ce n’est pas encore une menace de guerre mais ce n’est déjà plus une garantie de paix.
Ce qui se joue en Asie orientale est un nouvel avatar du conflit entre le communisme totalitaire et la démocratie libérale qui a marqué le XXe siècle. Xi joue cartes sur table. Dès 2013, il avait prédit « la disparition ultime du capitalisme et la victoire finale du socialisme ». Là où Deng recommandait à ses ministres de « maintenir un profil discret » sur la scène mondiale, lui affiche au contraire
En bon joueur de go, le dictateur rouge a saisi l’occasion du Covid-19 pour pousser ses pions.
ses ambitions stratégiques. Sous couvert de nouvelles routes de la soie, il travaille à l’avènement d’un monde qui ne soit plus, comme dans l’après-guerre, centré autour de l’Atlantique et du partenariat euro-américain, mais autour d’une Eurasie dominée par la Chine. Au lieu de poser la démocratie et le respect des droits de l’homme comme la norme, le système international doit, aux yeux de Xi, légitimer l’autocratie et le règne du Parti communiste. Pour lui, la Chine est un modèle que le monde doit imiter.
En bon joueur de go, le dictateur rouge a saisi l’occasion du Covid-19 pour pousser ses pions, en application du principe énoncé par Winston Churchill selon lequel « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Le président chinois sait que le marasme économique provoqué par la pandémie risque de déclencher un cataclysme social en Chine; que son choix d’augmenter encore de 6,6 % les dépenses militaires cette année, malgré la crise, prive les budgets sociaux de moyens précieux ; que sa décision de se faire nommer président à vie a créé des frustrations parmi les apparatchiks communistes ; que ses tentatives initiales de dissimulation du coronavirus ont suscité le malaise ; et que le « socialisme aux caractéristiques chinoises » qu’il promeut ne fait rêver personne.
Pour toutes ces raisons, le tyran attise la fièvre nationaliste de ses concitoyens, dans l’espoir de susciter un réflexe d’union autour de sa personne. Hongkong et Taïwan lui offrent des prétextes utiles. Pendant que les Occidentaux sont hypnotisés par les dramatiques conséquences économiques de la pandémie, le régime de Pékin révèle qu’il est prêt, pour faire avancer ses intérêts, à s’asseoir sur les accords internationaux, comme celui qu’il avait conclu avec Londres, et à piétiner les libertés. Les partenaires de la Chine doivent en tirer les conséquences
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